De 1896 à 1950, le Japon ne s’exporte pas. Pourquoi un tel retard ?

On ne peut pas nier qu’on ne connaissait pas l’existence d’un tel cinéma puisque dès 1900 la filiale « Japane film » réalisa quelques films en collaboration avec Pathé et Legrand.
On ne peut pas accuser non plus sa carence cinématographique alors qu’en 1952 il est le troisième producteur mondial, avec une moyenne de 300 films par an.


On peut encore moins reprocher aux réalisateurs japonais de ne pas avoir voulu exporter leurs œuvres lorsqu’on sait que dès 1920, de nombreux metteurs en scène tentèrent de faire connaître leur film à l’étranger ; mais la plupart sont revenus avec  l’indifférence pour tout bagage ! C’est d’ailleurs après ces expériences malheureuses que, selon Tadao Sato, les Japonais décrétèrent que leur cinéma ne pouvait rivaliser avec les productions occidentales et renoncèrent à l’exportation

On peut seulement établir plusieurs hypothèses, chacune allant de leur importance et jouant leur rôle dans cette logique de mise à l’écart :
 

 

Pour les Japonais:

Ils ont longtemps vécu dans un système autarcique, fermés et méfiants par rapport aux autres pays. A l’heure actuelle, ils continuent d’appliquer presque  inconsciemment cette même politique.

Ils sont persuadés que leurs films reflètent une réalité qui ne peut être comprise par des étrangers détenant une culture et un mode de vie très différents des leurs. Selon un état d’esprit typiquement nippon, tout ce qui est considéré comme spécifiquement japonais risque de ne pas être assimilé, et par conséquent non reconnu en Occident. Dans ce cas les Japonais préfèrent s’abstenir d’exporter plutôt que d’échouer. C’est pourquoi l’industrie cinématographique nippone n’a donc jamais essayé de s’implanter mondialement, se contentant de sa suprématie sur son territoire.

A la fin de la seconde guerre mondiale, l’hégémonie du cinéma américain sur la plupart des territoires mondiaux n’est pas en faveur des Japonais. Ceux-ci sont montrés comme des « brutes sanguinaires, des barbares endoctrinés sans valeur morale, des violeurs cruels, adeptes de la torture et du massacre comme stratégie militaire. »[1]

 

Pour les Occidentaux:

Ils ne veulent pas se donner la peine de sélectionner, diffuser et surtout traduire ce genre de films qui risque de ne pas être rentable et même d’être boudé par le public.

Le marché cinématographique mondial est déjà bien saturé. Avec notamment  l’émancipation des films Américains, les salles affichent complet !

D’un point de vue plus technique, les films japonais revenaient assez chers compte tenu de l’acheminement des bobines, des sous-titrages et de la promotion

La guerre a beaucoup marqué les esprits et le peuple japonais attire toujours, à priori, une certaine « méfiance ».
 
 


 
En 1950 c’est le  « débarquement »  du cinéma japonais.  Pourquoi cette année là ?

Au début des années 50,  le Japon s’est relevé aussi bien économiquement, matériellement et moralement. Après le traité de paix signé avec les Etats-Unis, le cinéma est en plein essor (« 4 000 salles, 800 millions de spectateurs, 300 films par an. »[2]). Son « âge d’or » lui permet d’aborder une nouvelle politique commerciale destiné à imposer son cinéma dans le monde entier.
 
Le public français découvre le cinéma japonais, comme Christophe Colomb a découvert l’Amérique. Fascination et réjouissance de l’exotisme, beauté et symphonie des images, les spécialistes du septième art se régalent devant ce singulier refrain cinématographique ; un renouveau  qui concerne aussi bien le fond que la forme.
Si le succès est au rendez-vous, écrire sur le cinéma japonais s’apparente à un jeu de piste. Se documenter sur un pays hermétiquement fermé pendant des siècles devient un travail d’historiens ; rattraper une production cinématographique inexploitée pendant 50 ans, est du domaine d’un chercheur aguerri ; trouver la possibilité de voir un film japonais sur les écrans français, relève presque de l’exploit !

 

 

Reste encore à faire la part des choses entre les stratégies d’exportations des producteurs,

le bon vouloir des distributeurs et l’importance de la production cinématographique

par rapport aux quelques films cueillis dans un champ de chrysanthèmes s’étendant à perte de vue.

 

 


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[1] Citation de Léonard HADDAD dans la revue HK, n° 5, déc. 1997, p : 59
[2] Sadoul, Histoire du cinéma mondial , Flammarion Paris, 1963
1Propos repris dans le livre de Louis Chauvet, « Le cinéma à travers le monde », Hachette, Paris, 1961