Blood and Bones

ou l'homme que vous aimeriez haïr




Fiche de présentation :

  

 

Titre : “Chi to Hone” littéralement « sang de os »

Réalisateur : Yoichi Sai    
                                            

D’après le roman de Sogiru Yang

Nombre de films diffusés en France antérieurement : 2

Durée : 2 h 20

Producteur japonais: Nozomu Enoki

Production au Japon : be-Wild

Distributeur français : ARP sélection

Sortie au Japon : 2004
Sortie en France :
20 juillet 2005

Nombre de copies en France : 35

Nombre de salles à Paris au moment de la sortie du film 11 la semaine du 27 juillet et 23 la semaine du 3 août

Nombre de salles en France :

Nombre d’entrées à Paris : La première semaine = 6 867 et 3 semaines plus tard = 40 013 entrées

Nombre d'entrées en France : année 2005 = 50 583

 

 

Présence dans les Festivals en France :

 - Festival du film asiatique de Deauville du 9 au 13 mars 2005

- 33° Festival international du film de La rochelle du 1 au 11 juillet 2005

- Le festival de tous les cinémas à Paris du 29 juin au 12 juillet 2005

Récompenses au Japon :

- Award of the Japanese Academy : Meilleure actrice (Kyoka Suzuki), Meilleur réalisateur, Best Supporting Actor : Jô Odagiri)

- Les prix de la critique japonaise (Blue Ribbon Award) : Best Supporting Actor (Jô Odagiri)

- Hochi Film Award : Meilleur réalisateur

- Kinema Junpo Award : Meilleur acteur (takeshi kitano), Meilleur réalisateur, Meilleur scénariste (Wui Sin Chong et Yoichi Sai), Best Supporting Actor (Jô Odagiri)

- Mainichi Film Concours : Meilleur acteur (takeshi kitano), Meilleur film, Best Supporting Actor (Jô Odagiri), Best Supporting Actress (Tomoko Tabata)

   

 

VIOLENCE !!!

    Ce seul mot pourrait définir ce film ! la violence en est le moteur, où plutôt l’obsession de son personnage principal Kim Shupei. Une violence concentrée dans toutes les actions d'un même  personnage. La liste est monstrueusement longue ; c’est un répertoire de toute la cruauté qu'un homme peut faire à autrui : Meurtres, violes, passages à tabac, bagares, provocations au suicide (noyade, pendaison, mort aux rats), maladies provoquées, incendies, abus, sadisme, escroqueries, comportement odieux, haine, mépris, tyrannie…                            

           Avec un tel palmarès, les critiques affublent Kim Shupei des pires qualificatifs mi-homme, mi-animal :

bab2Monstre, bête, fauve, chien enragé, Phénix tyrannique, Bourreau, Satyre,  Inhumain,     Tyran, Carnassier, parfait salopard ...    

 

 

Comment expliquer cette violence ?

C'est justement parce que cette violence sans explication que son impact est d’autant plus fort : l'origine du comportement  odieux de ce tortionnaire ne sera jamais à l'ordre du jour… absence totale de psychologie et d'une recherche de cause à effets : Kim Shupei est LE monstre parce qu’il EST un monstre [1]»

 
     

« Par une simple ellipse, placée entre l'image paisible du paternel arrivant sur le bateau et le premier souvenir de cet homme battant sa femme, Yoichi Sai crée un temps perdu. Un trou noir qui balaie toute explication rationnelle sur les origines de ce comportement haineux[2] »

« Yoichi Sai ne prend jamais la peine de justifier la rage de Shunpei… Ce qui aurait permis, peut être, d’entrevoir les contreforts névrotiques d’un tel personnage [3]»



Existe-t-il une trace d’humanité dans ce personnage ? Excepté quelques très rares éclairs de « lucidité », le personnage reste constamment détestable. Aucun moment de compassion n’est accordé aux spectateurs :


"Ce film, pour reprendre l'expression de Misao, décrit en quelque sorte le "fighting spirit", celui du chien qui se fait battre et jusqu'au dernier moment tentera de bouffer la main de celui qui lui donne à manger[4]

« On butte là sur les limites de l'adhésion à ce récit. Difficile de se sentir touché ou concerné par un être monolithique, qui n'évolue pas et ne se montre jamais fragile ou vulnérable sous l'emprise du doute. On attend en vain de voir dans sa carcasse la moindre fêlure qui pourrait nous le faire comprendre[5]   

 
 
Conséquence : Il y a un rejet d’identification de la part du spectateur envers le personnage principal, qui malgré son statut de « héros » ( par la place centrale qu’il occupe dans le récit), n’est jamais présenté à la première personne du singulier. On ne sait pas ce qu’il pense ni se qu’il ressent.  C’est à travers le regard des autres (membres de la famille, employés…) que nous le percevons.

 

 
« …l’absence totale de parti pris rend tout l’univers hermétique à une quelconque identification du spectateur. Montré parfois du point de vue des enfants, parfois de celui du père, il n’y a aucun pôle identificateur nécessaire à tout bon scénario pour pouvoir ‘’s’impliquer’’ émotionnellement dans les événements. [6] »

  

     

  

 

D’où vient cette violence ?

 

Une violence propre à l’acteur Kitano :


Une brutalité parachevée par la performance incontestable de l’acteur  

 

D’un côté, on nous dit que le réalisateur, Yoichi Sai, a déclaré avoir attendu six ans que Takeshi Kitano soit libre pour tourner le film, refusant tout autre acteur ; de l’autre on apprend que c’était un projet de longue date pour le comédien, qui souhaitait trouver un réalisateur capable de le mettre en scène dans cette adaptation du roman auto-biographique de Yan Sogiru. L’acteur y voyait un moyen efficace d’exorciser le propre souvenir douloureux de son père violent et ivrogne.

Le panel de film réalisé ou joué par Kitano, nous a déjà accoutumé à ce genre de violence crue, pure et dure, gratuite, d’un réalisme saisissant  et parfois inattendue. Entre « Aniki mon frère », « hana-bi », « violent cop », « Sonatine » … le « made in Kitano » est un véritable révélateur d’une obsession symptomatique.


 

Une bestialité typiquement asiatique :

Selon une idée reçue, le septième art asiatique est un genre de cinéma qui recherche le réalisme, sans passer par les effets spéciaux. L’Asie, c’est aussi la contrée des arts martiaux, de l’harmonie entre le corps et l’esprit combinée au respect de l’adversaire. Comment ne pas voir dans cette mise en scène, tout l’ascendant exercé par les films de kung-fu, où les coups « sont secs, sourds,  [nous pénétrant] sèchement comme la lame du couteau. [7]»

« Blood and Bones est un traité de lutte, un art de la bagarre. Spécialité asiatique : Japon et coréens (…) donnent beaucoup dans la bataille à mains nues, turbulente version Corée, plus sèche version nipponne (..) ici, coup de boule ou coup de poing se donnent  en son direct, cascades live, baston vériste. [8]»

« Il (Yoichi Sai ) distille les scènes de conflit de manière brute, sans effets spéciaux, sans bruitage ou bande son, que les sons sourds des poings qui s'écrasent. Une atmosphère à laquelle on est habitué de la part des réalisateurs japonais pour dépeindre la violence d'une manière la plus réaliste possible[9] »

Plaidoyer et célébration du réalisme… ce que les critiques apprécient dans cette violence, c’est son côté véridique !

« Blood and Bones est un film "représentationnel", c'est-à-dire réaliste … sans déformation, sans atténuation. Et c'est cette "réalité" brute que doit voir le spectateur [10]».

« A chaque coup porté c'est le réalisme qui prime, laissant de côté la dimension spectaculaire que pourraient prendre les multiples altercations. C'est brut et brutal mais sans fioriture, ni atténué ni amplifié, en forme de constat. Les plans sont fixes, calmes, composés simplement, pour un résultat d'autant plus dur psychologiquement[11] ».

 

 
 

Fruit d’une histoire, celle de la Corée et du Japon :

Beaucoup de critiques attribuent la violence de Kim Shunpei  à son époque et aux rapports entre la Corée et le Japon entre 1920 et 1980 :

L'occupation japonaise de la Corée débute en 1905, par l'établissement d'un protectorat qui clôt la guerre russo-japonaise. Cette occupation est renforcée par la signature d'un traité d'annexion en août 1910 sous le nom de nikkan heigô, la fusion nippo-coréenne, qui serait conforme au droit international de l'époque. Le Japon prend durement en main la péninsule, et exerce une domination impitoyable, nullement freinée par la résistance des Coréens. L'enseignement du coréen, qui avait été auparavant obligatoire, fut arrêté le 31 mars 1941. La Corée sert de réservoir aux Japonais, qui y puisent matières premières, denrées agricoles, main-d'œuvre pour leurs usines. Beaucoup de femmes servent de prostituées  ( femmes de réconfort) aux soldats japonais. La situation se poursuit jusqu'à la reddition du Japon le 15 août 1945 la Corée fut divisée en deux zones d'occupation administrées par l'URSS et les Etats-Unis.

Le personnage  de Kim Shupei serait le fruit de ces rapports !

« Personnage infect  mais excusé, ­ il n'a reçu que de la négation. Il est le corps d’un gâchis historique.  Son désastre en sera plus que jamais intime.  Son temps l'a produit méchant[12] ».

La société aurait généré ce monstre !

  « Shunpei, …, qui n'est, de toute évidence, que le reflet des rapports frénétiques qui opposent une Corée vaincue, humiliée, et un Japon tout-puissant qui l'annexe au début du XXe siècle.[13] »

« Yoichi Sai semble …mettre à l’index toutes les formes de tyrannie, celles des sociétés générant parfois ses propres monstres [14]»

Kim Shunpei serait le symbole de la Corée, et des coréens !

Le personnage incarne  « toute la violence rentrée, la frustration non exprimée, le malheur d’un peuple réduit en esclavage, celui des Coréens du Japon.[15] » 

« Les douloureux mouvements de population entre le Japon impérialiste et son voisin coréen, peuple de Corée humiliée par le puissant archipel, qui va trouver dans la brutalité de Kim à la fois un écho de ses propres frustrations, mais aussi une force de coercition supplémentaire, venue de son propre ventre. [16]»

La violence de Kim Shunpei serait une métaphore de l’attitude des Japonais contre ces émigrés coréens !

 « Blood and Bones propose …en arrière-plan …les questions de l' immigration coréenne et de la triste occupation de la Corée par le Japon, les relents nauséabonds de cet épisode historique trouvant leur expression dans l'effrayante personnalité de Kim Sun-Pei. [17]»

Mais n’est-ce pas plutôt le réalisateur qui a voulu que ce monstre soit considéré comme le produit de son époque ? Yoichi Sai appartient à la minorité coréenne qui n'a pas obtenu la citoyenneté au Japon. Le cinéaste voulait- il générer une prise de conscience et faire passer un message à travers son film ?

« Blood and Bones serait-il le film d'un début de réconciliation entre les deux nations ?  [18] »

 

  

 

Une violence sexuelle « nipponesque »:

Des scènes sexuelles filmées comme les scènes de violence :

« Filmer pareil le sexe et la bagarre, c’est filmer le broiement du corps par quelque chose d’invisible, tout petit ou très grand, fébrilité amoureuse ou bien, comme ici, puissance physique détraquée. [19]»

    

Philippe Pelletier tente d’expliquer ce phénomène[20] :

b4Selon l’auteur, le sexe et la violence dans le cinéma japonais constituent un exutoire virtuel, qui permet de s’affranchir de la pesante hiérarchie sociale.  La violence aboutissant inéluctablement au sang et à la mort, deux éléments considérés comme impurs par le Shindô et le bouddhisme, elle doit être « sur-réaliste ». Pour se débarrasser de cette impureté, « la mise en scène doit dépasser le réalisme strict, et fonctionner à un autre niveau, proche de l’irréalité et de l’onirisme. L’expression filmique ou graphique de la violence repose ainsi sur une combinaison de stylisme sophistiqué, maniéré parfois, et d’hyperréalisme cru, bourré de détails chirurgicaux. » Dans cet esthétisme du sang, de la violence, du sexe et de la mort, ces éléments ne sont pas considérés comme des péchés, selon les principes d’une certaine moralité chrétienne. De ce fait ils n’ont besoin d’aucune justification ni d’arguments moraux. En Asie, ce qui est de l’ordre de l’imaginaire et du virtuel, n’est pas jugé mais considéré sous un angle esthétique. Si la censure japonaise interdit la représentation des poils pubiens, elle tolère que le peuple exprime ses pulsions dans le fantasme, dans l’espoir de mieux le contrôler dans la réalité !

 

 

Finalement cette violence tant décriée, perd de sa virulence si l’on se réfère à l’esthétique et à la morale nippone. Les images en elles-mêmes ne sont pas violentes, « point de carnage sanglant ou d’ images choc racoleuses. [21]»,  c’est notre regard, stimulé par des valeurs judéo-chrétiennes, qui engendre cette aversion, ce dégoût, cette répulsion envers le personnage incarné par Kitano qui représente à nos yeux le mal absolu.

   

 

 

Au milieu de cette violence, la femme :

Le réalisateur dresse, en arrière plan,  un portrait de la condition féminine peut enviable, et pourtant très fréquent dans les films japonais : Femme opprimée dans un empire misogyne, une sorte de tradition séculaire depuis que le code d’honneur des samouraïs proclamait que "la femme est aussi bas que la terre,  l’homme aussi haut que le ciel" 

"Au-delà du personnage principal, ce sont les femmes qui sont au cœur de cette histoire douloureuse. Femme, maîtresse, fille, toutes sont victimes de la brutalité des hommes. Comment ne pas se sentir révolté par l'état de servilité dans lequel sont réduites toutes ces femmes [22]?"

"Principales victimes de cette dégringolade, les femmes subissent plus qu'elles n'existent, collectionneuses d'hématomes, jouets dérisoires écartelés les uns après les autres.[23]"

 

 

En 1979, Jean-Paul Le Pape écrivait à propos du cinéma japonais Pink : « ce qui frappe dans l’ensemble du cinéma Pink, c’est que le sexe y est rarement peint comme une volupté abondante, mais plutôt comme une activité sadique où l’homme, dira-t-on, fait de la femme un objet de son sadisme[24] »

  En 2004, Nicolas Bouvier, ecrivait à propos du rôle attribué aux femmes dans certains films japonais traitant du milieu : "on n'y va pas pour y trouver de la romance, ...je n'ai jamais vu au cinéma les macs traiter leurs filles avec cette brutalité machinale et ce sadisme-là. A y regarder de plus prés cependant, on s'aperçoit que cette violence masculine pue le ressentiment et la rogne impuissante. En fait, sous couvert d'effacement, les femmes tirent toutes sortes d'ingenieuses ficelles, trament, sont officieuses en diable et prennent grand nombre de decisions dont le succés profitera à tous, mais dont l'echec sera reduit aux proportions de leur insignifiante personne.[25]"
 

   

 

 

Une mise en scène transparente derrière son classicisme :

 

Yoichi Sai a gardé une certaine constance tout au long de son œuvre, utilisant divers éléments « catalogués » de typiquement classiques ou  académiques par la critique.

   

L’utilisation de la voix off : Le fils commente le déroulement de l’histoire concernant la vie de son père sur une période de 60 ans. Un remède académique pour remplir les blancs laissés par une narration elliptique :

« Une sagesse plate de la mise en scène qui frôle l'académisme, le recours redondant à cette voix off qui surligne les événements et replace certains épisodes du récit au cœur d'une chaîne de significations n' écartent jamais le film de la convention [25]».

L’utilisation de scènes pleines de symboles déjà vus :

Ex : la première scène sur le bateau : « on a bien l’impression d’avoir déjà vue ailleurs sur un écran (histoire classique et d’habitude américaine de la montée et de la chute d’un petit immigrant)[26] »

« En 1923, Shunpei, un jeune paysan coréen, s'embarque pour le Japon. Il contemple les rives d'Osaka avec le même enthousiasme que le héros d'Elia Kazan voyait s'approcher celles de son America, America.… [27] »

L’ « utilisation » de l’acteur Kitano dans son registre de prédilection

« La réalisation académique et sans idée de Yochi Sai réduit malheureusement ce personnage à une marionnette pathétique. Elle aggrave tous les tics de comédien de Kitano, comme s’il s’agissait de donner du poids au film en le parant d’une caution, celle de retrouver la marque « Kitano » dans une incarnation encore plus démonstrative. Les personnages qui l’entourent se restreignent à une galerie absolument artificielle de silhouettes éplorées, et passent dans le film comme autant de garants d’une tragédie… [28]»

Des scènes qui se répètent :

« Ambitieuse et onéreuse fresque, Sai  n’arrive pourtant pas à transformer ses louables intentions ; la faute à un enchaînement rébarbatif de scènes répétitives, toutes construites sur le même modèle : montrer dans ses moindres détails les explosions de violence et de cruauté du père de famille [29]»

Le choix de la musique américaine :

Les violons de Taro Iwashir pour accentuer la dramaturgie est une option qui n’a guère été appréciée par les critiques ; ils auraient sans doute préféré des sonorités plus typiques et traditionnelles. Cette bande musicale laisse une impression dérangeante d’autant plus qu’elle est « américanisée », "stéréotypée, larmoyante et affreusement mécanique[31] » souvent inutile et complaisante; c'est pour certains le signe d'un manque de fermeté du cinéaste[32]

 

Pourtant, l’emprunt du  son  occidental n’est pas une première, mais cet emploi, est toujours un peu « décalé » dans le temps ou le contexte, ce qui surprend et déçoit parfois  les européens : En 1980, dans son analyse sur Kagemusha , Aldo Tassone trouve dans cet emprunt une trop grande dissonance entre l’image et le son ; les images sont fustigées par les violons, cymbales, trombones et harpes … il regrette le manque d’instruments traditionnels comme dans le théâtre [33] 

 

   

   

Une influence américaine incontestable :

   

En dehors de la musique, cette influence hollywoodienne se retrouve dans d’autres détails. Sans même avoir vu le film, le choix de l’affiche est un révélateur de l’ascendant pris par la culture américaine.

Une affiche avec une composition et une esthétique occidentalisées, dans le genre cinéma mi-fantastique :

 

kairo79 Koseigneur des anneaux

Couleur sombre, jeux de lumière sur le visage qui met en évidence les traits du personnage (système de la lampe torche braquée sur un visage dans l’obscurité  dans le but d’effrayer, d’inquiéter ou d’entretenir le mystère)  Alignement du visage du héros au centre de l’affiche  avec des yeux fixes qui dévisagent, scrutent, interpellent le spectateur. Un portrait imposant souvent accompagné d’une scène inquiétante en bas de l’affiche. Exploitation de l’acteur (Kitano, Schwarzeneger) avec son nom écrit en évidence sur son front

A l’inverse, l’affiche japonaise, a une toute autre esthétique :

    kairo

Contrairement à l’affiche française, la femme est mise en valeur.  Présentée de face, en arrière plan, légèrement cachée par le profil de Kitano qui accapare presque la moitié de l’affiche. Le visage de l’homme est légèrement incliné, inexpressif, les yeux baissés, le regard vide comme honteux et misérable.  Celui de la jeune fille est au contraire très pâle et lumineux, auréolé d’une blancheur pure et innocente ; son regard nous fixe avec compassion et dévoile sa dignité,  sa résistance et son courage face à la perversité de  son bourreau. Vêtue de blanc sur fond blanc, elle incarne l’ange menacé par le démon. Elle nous regarde avec douceur et l’on ne voit plus qu’elle.

 

 

Les références :

   

 

Les romanciers:

 

Victor Hugo[34] pour le côté « saga », légende ; Zola[35] pour l’adaptation d’un roman fleuve et « le réalisme proche du naturalisme[36] »; Balzac « pour les ravages de l'ambition[37]  »

 
 

Ces auteurs appartiennent à la grande charte de la littérature classique que l’on retrouve sur les bancs des écoles. Mais ce sont également ces romanciers que les critiques repéraient dans les films japonais diffusés entre 1950 et 1980. Exemple : dans La rue de la honte,  Balzac sert de référence pour son sens de l’observation des êtres et de son temps, et Zola pour son application à décrire les faits humains et sociaux[38] On constate que la littérature classique ne fait toujours pas défaut dans l’interprétation des films japonais, comme si un code de références littéraires était de rigueur  pour décrire certains thèmes.

 
 

Les réalisateurs:

L’autrichien Eric Von Stroheim, est un personnage atypique, égocentrique qui sacrifia tout à sa mégalomanie. On le compare au personnage de Kitano, pour cette antinomie à affectionner une personne haïssable : « Depuis le légendaire Eric von Stronheim, on n'avait pas adoré haïr quelqu'un à ce point-là! [39]»

 Cette comparaison a ses limites : Alors que l’on reconnaît en la personne de Von Stroheim un génie incontestable pour son art, on ne voit pas bien où se situe le talent de Kim Shupei excepté dans sa monstruosité.
   

Les films:

Japonais : Des Similitudes d’ordre  scénaristique

Cette fresque familiale s'étalant sur plus d'un demi-siècle revendique la filiation directe avec des œuvres telles Cuirassés et Cochons (61) de Imamura. Même ancrage dans un fort contexte sociopolitique (ici la période troublée de l'après guerre), même description rugueuse de personnages et sociétés en crise [40]

 

La Pègre, le dernier film d'Im Kwon-taek, qui lui aussi retrace l'histoire d'un homme qui ne peut se sortir de la rudesse de la vie que par la violence

 
 

Américains : Pour la brutalité du personnage principal

 

 

 

 

« Takeshi Kitano trouve là un rôle qui laisse exprimer toute sa rage et fait passer la bestialité de Daniel Day Lewis dans Gangs of New York au rang d'un gentil amuseur de foires [41]»

 

 

 

Un  Scarface  à la sauce nippone

Ces références ne sont pas très explicites, mais de l’ordre de l’illustration réductrice, où un élément va rappeler au critique un souvenir, un renvoi à quelque chose de similaire dans un autre film. Yoichi Sai doit avoir des références plus ancrées, plus précises, dont il s’est inspiré pour élaborer « blood and bones ».

 

 
 

Etrangement, peut-être par évidence ou simplicité, les critiques n’ont jamais fait référence au cinéaste japonais Oshima.

 

En 1976, il  Yoichi Sai est le  premier assistant de Nagisa Oshima sur L’Empire des sens, il devient le commandant Isami Kondodans   dans Tabou  en 2000. Lors d’une entrevue, il déclarera lui-même faire partie d’une sorte de famille dont fait partie Kitano et Oshima :

« Kitano…a débuté dans mon premier film, Un moustique au dixième étage.... Je l’aime beaucoup parce qu’il est net, intelligent. Il a trois ans de plus que moi et je le considère comme mon frère aîné. Quant à Oshima, beaucoup disent que je suis son enfant. Mais en tant que réalisateur, nous avons tous des univers bien à nous : Takeshi, c’est " la violence froide dans le silence ", moi, c’est " le sang chaud dans la douceur " et Nagisa, je dirai quelque chose comme " l’acide sur la plaie. [42]"

Yoichi Sai, a pu se servir de son expérience sur le film l’empire des sens, pour filmer les scènes sexuelles dans Blood and Bones. Il garde certainement en esprit les revendications et la vision d’Oshima sur l’érotisme. Ce dernier rompait pour la première fois  avec cette complaisance sexuelle pour jongler habilement entre le genre pornographique et érotique. Les actes sexuels sont affranchis de toutes coquetteries esthétiques, laissant place à un réalisme charnel vu comme une contre-allégeance envers «les interdits» de la société japonaise et comme une réflexion sur l’érotisme et l’obscénité. Il n’est pas question de voyeurisme ni de provocation, mais de sexe à l’état pur, de l’orgasme et de la jouissance sans allégorie qui sont la base même de l’acte amoureux.  Selon les propres mots de Oshima,[43]

 

«l’amour commence à partir du moment où l’on reconnaît que l’on peut mener à bout librement, entièrement, ses propres désirs sexuels…voilà pourquoi j’ai intitulé mon œuvre non pas "La corrida du sexe" ni même "La corrida de l’amour - désir", mais "La corrida de l’amour" »

 

La différence réside dans le traitement du corps: Il n’est plus question de gros plans, d’espace de plus en plus serré, de détail optimisé, d’univers progressivement réduit au corps. Yoichi sai, se contente de filmer d’une manière plus puritaine, soit en coupant les corps (par une cloison ou un cadrage au niveau de la poitrine) ou en les habillant, soit en filmant de loin ou de derrière. Par conséquent, pour en revenir à cette violence du personnage incarné par Kitano, cela montre une nouvelle fois, que c’est l’imaginaire et la morale du spectateur qui parachève la bestialité sexuelle. Yoichi Sai « montre sans montrer » un viol ou une relation sexuelle… il reste dans le domaine du suggestif!

 

 

 

 

 

Conclusion :

   

On crie à la violence, à l’horreur, au dégoût …mais aussi à l’admiration en terminant un article par « à ne pas rater » ou « à découvrir absolument » !  La répulsion laisserait-elle  place à la fascination ? L’aversion pour le personnage finirait-elle par lasser, amuser, blaser,  rendre indifférent le spectateur ?

Incontestablement, et les critiques en sont les témoins : le film de Yoichi Sai, divise les spectateurs entre deux sentiments: Répulsion ou admiration spéculaire de la violence (incarné par l’acteur Kitano et une mise en scène sans effets spéciaux).

Ce qui est finalement regrettable, c’est que le film paraît tellement submergé par son caractère violent, que les critiques ne voient rien d’autre à « critiquer » ! C’est à travers l’utilisation d’une mise en scène académique de Yoichi Sai que le film se résume finalement à cette violence incarnée dans le personnage principal. Le classicisme du film restant relativement neutre, seule la violence ressort, éloignant tout le reste.








 

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[1] Jean-Baptiste Morain, Les Inrocks,  n°503, 20 juillet 2005, page 38

[2] Julien Welter, L'Express, 18/07/2005 n°2820, page 42

[3] Grégory Alexandre, Cinélive

[4] cinéasie.com

[5] la rédaction, Ouest France

[6] Bastian Meiresonne : lequotidienducinema.com

[7] Redrum (+ PETSSSsss) : ecrannoir.fr

[8] Jean-pierre Tessé, Cahiers du cinéma, n°603, juillet-aout 2005, p :38-39

[9] Cinéasie.com

[10] nihon-fr.com, Baptiste Lusson,24 Juillet 2005

[11] Julie Deh : fluctuat.net

[12] Philippe AZOURY, Libération, 20 juillet 2005 

[13] Pierre Murat, Télérama,  n° 2897 - 23 juillet 2005

[14] Philippe Piazzo, TéléCinéObs

[15] Jean-Baptiste Morain, Les Inrocks,  n°503, 20 juillet 2005, page 38

[16] Jean-Philippe Tessé, chronicart.com

[17] Julie Deh : fluctuat.net

[18] nihon.fr, Baptiste Lusson,24 Juillet 2005

[19] Jean-Pierre Tessé, Cahiers du cinéma, n°603, juillet-aout 2005, p :38-39

[20] « le Japon, idées reçues, éditions Le Cavalier Bleu, Paris, 2004, p :111-114

[21] Julie Deh : fluctuat.net

[22] Samya Yakoubaly : .commeaucinema.com

[23] Danielle Chou : filmdeculte.com

[24] Le “Cinéma Pink”, un certain miroir

[25] Nicolas Bouvier, Le vide et le Plein, Carnets du Japon 1964-1970, Hoebeke, Paris, 2004, p: 85-86

[25] Jean-François Rauger, Le Monde, 21.07.05

[26] Jean-Baptiste Morain, Les Inrocks,  n°503, 20 juillet 2005, page 38

[27] Pierre Murat, Télérama,  n° 2897 - 23 juillet 2005

[28] Julien Welter : .arte-tv.com

[29] Bastian Meiresonne : lequotidienducinema.com

[30] Eigagogo : Dvdrama (2 avril 2005)

[31] Julien Welter : .arte-tv.com

[32] Philippe AZOURY, Libération, 20 juillet 2005 

[33] Cinéma, n°262, oct 1980, p :14-24

[34] Vincent Ostria : L’humanité 20 juillet 2005,n°720

[35] Première, Gérard Delorme

[36] Pierre Murat, Télérama,  n° 2897 - 23 juillet 2005

[37] Pierre Murat, Télérama,  n° 2897 - 23 juillet 2005

[38] Tessier, Revue du cinéma, n°353, sept 1980, p :42-44

[39] Caroline Vié, Brazil

[40] Eigagogo : Dvdrama, 2 avril 2005

[41] Redrum (+ PETSSSsss) : ecrannoir.fr

[42] Propos recueillis par Michole Levieux, dans L’humanité, 20 mai 2000

[43] chapitre « Erotisation nippone »