Cinéma,
Une politique de bon aloi

 

«L’écriture critique …fut un acte créatif
de substitution sans doute aussi important
que les films eux-mêmes
[1]

 

La France et le cinéma… un duo qui véhicule une Histoire avec un grand « H ». Dès ses premiers balbutiements, le septième art sera pris en considération comme un véritable enjeu économique et artistique; la France deviendra une terre d’accueil pour le cinéma international. En mars 1995, dans un dossier [2] destiné au ministère des affaires étrangères, Marie-Christine Luton met en évidence le soutien de la France envers les cinéastes étrangers.

Consciente d’être le pays qui a vu naître le septième art, la France a toujours été un lieu de rencontres pour les réalisateurs et les comédiens étrangers. De Carl Dreyer à Roman Polanski, en passant par Robert Altman, Nagisa Oshima ou Wim Wenders, ce n'est pas un hasard si tant de cinéastes ont choisi de tourner des oeuvres juridiquement françaises.

La première vague importante de cinéastes étrangers a déferlé sur la France après la première guerre mondiale, à l'époque où Paris était reconnu comme la capitale mondiale des artistes. Interrogés sur les raisons qui les ont poussés à choisir la France, les cinéastes étrangers mettent en avant la reconnaissance du réalisateur comme auteur, la liberté de création, et le sérieux des techniciens. Pour le Japonais Nagisa Oshima, sa décision de travailler en France a été liée à des rencontres avec le producteur Anatole Dauman pour L'Empire des sens (1976) et L'Empire de la passion (1978).

En dehors de l’aide matérielle ou financière, qui n’a profité qu’à très peu de cinéastes japonais, la France a surtout apporté un soutien de valeur artistique. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, les critiques ne jouent plus les chroniqueurs; ils imposent une nouvelle façon de voir le cinéma, non plus comme un divertissement, mais comme un art à part entière. Pour comprendre leur rôle, il faut analyser quel est le profil type des critiques français entre 1950 et 1980. Truffaut en donne une définition qui fait ressortir chez eux un besoin de découverte et de cinéphilie :

«Le critique français se veut un justicier…il y a d’abord ce phénomène de méfiance très européen devant le succès…éprouve fortement le désir de se rendre utile…On apprécie d’avantage ce qui vient de loin, non pas seulement en raison de l’exotisme mais aussi parce que l’absence de références personnelles renforce le prestige d’une œuvre…On juge avec plus de sympathie ce qu’un artiste fait que ce qu’il est…dans la production d’un pays un film arrive rarement seul, il participe de tout un environnement et parfois même d’une mode ou d’une série. [3]»

 

Peinture de Cathy Bechennec

Ce commentaire d’un des critiques et cinéastes les plus reconnus dans l’histoire du cinéma français, montre l’importance et l’enjeu que représente l'évaluation des critiques dans les années 50 et 60. Une période marquée par une cinéphilie exceptionnelle en France, qui va entraîner une véritable réflexion sur le cinéma, son écriture et son analyse.

L’essor de la presse spécialisée et la recrudescence des ciné-clubs, vont être à l’origine des nouveaux « spécialistes » du cinéma.  Selon Antoine De Baecque, la France est sans doute le seul pays au monde où la critique ait acquis une telle présence et un tel prestige. Un constat que l’on doit certainement  à la mise en place d’une approche plus savante, cinéphile, érudite et théorique de la part des critiques.

Une série de textes fondateurs de François Truffaut, dont le célèbre, « une certaine tendance du cinéma » publié en janvier 1954, vont être le point de départ de ce que les critiques vont nommer « la politique des auteurs ».  Des jeunes critiques, pour la plupart issus de la revue des Cahiers du cinéma comme Godard,  Rivette, Chabrol, Rohmer…  s’insurgent devant un « cinéma de qualité » et défendent un cinéma d’auteur. L’objectif est de privilégier le travail d’artistes au détriment du travail d’artisans.
 
Le sens latin, Auctor  désigne au cinéma la personne qui produit, tourne et monte son film. Si la notion d’auteur a été forgée en littérature au milieu du 19ème siècle, les critiques français exploitent ce terme dans l’intention de démontrer la vraie valeur des cinéastes. Ces derniers endossent ainsi une image plus proche de l’écrivain que du peintre, et surtout il n’est plus l’égal du metteur en scène de théâtre. Le cinéaste écrit son scénario, privilégie les thèmes, a un regard, parfois moral, et une vision du monde. Il adopte un ton personnel, un mode de récit reconnaissable, des constantes plastiques en ce qui concerne le choix des objectifs, le cadrage, la lumière, les mouvements d’appareils et le montage… Il inscrit sa spécificité esthétique à travers sa filmographie.

 


Quel rôle va jouer cette nouvelle politique de la critique française dans la réception des films japonais ?

Comment les œuvres japonaises interpellent, renforcent ou bouleversent les théories de l’époque ?

En quoi les cinéastes japonais répondent-ils à la politique des auteurs ?

 

En tenant compte du postulat de Richard Begin selon lequel l’origine de l’auteur « naît du geste conceptuel du spectateur et du critique[4]», et du fait que la politique des auteurs est une position réceptive, je répondrai à ces interrogations en cernant l’exigence des critiques : découvrir ce qu’ils recherchent,  à quoi ils sont sensibles et ce qu’ils apprécient dans un film. L’idée est de faire un rapprochement schématisé entre le parti pris esthétique exigé par les critiques et ce que proposent les films japonais à la même époque. En d’autres termes, il s’agit de repérer les signes et les indices qui caractérisent un film d’auteur par rapport aux manifestations qu’un film japonais offre à l’analyse.

 

Peinture de Cathy Bechennec

La maitrise technique : Une précision et une rigueur incontestable

 

La sélection des films japonais diffusés en France n’a pas été le fruit du hasard. Beaucoup avaient les qualités requises et courtisées par la critique. Ces cinéastes auteurs n’ont ni patrie ni histoire nationale; engagés dans de nouvelles recherches formelles, ils parlent la même langue: celle de la mise en scène…Il y a un véritable travail de la part des réalisateurs japonais qui fascinent la majorité des critiques. 


« Rigueur »,
« mise en scène d’une précision horlogère »,
« réussites plastiques fascinantes »,
« parfaite maîtrise technique »,
« mise en scène d’une droiture admirable »….

Quelques citations parmi la multitude d’expressions formulées à propos de l’exceptionnelle maîtrise des cinéastes japonais. En 1954, en découvrant le film de Kinugasa, La porte de l’enfer, Desormier se rend compte que « les Japonais sont exceptionnellement doués pour le cinéma,… dévaluant les plus sures recettes hollywoodiennes.[5] »

Les cinéastes sont de véritables hommes-orchestre pour certains, à l’exemple de l’empereur Kurosawa qui réalise son film de A à Z.  Dans ses films,  rien n’est laissé au hasard, tout doit correspondre à son esprit, il est le seul à décider, il est le seul à savoir si une scène est bonne ou à refaire. Pour cela un travail exigeant et minutieux est de rigueur de la part de toute son équipe technique. Comme le révèle Max Tessier, Kurosawa « pratique une prolifique  « politique des auteurs » depuis ses origines [6] ».

Cette précision minutieuse comprend entre autres une utilisation expressive et contrôlée de la couleur et une finesse des détails étonnante. 

Selon la critique française, la couleur joue un grand rôle, elle n’a pas une valeur factice de simple ornement mais elle doit cumuler beauté, esthétique et subtilité dramatique. ( Voir le chapitre consacré à la question de la couleur dans la première partie )

En ce qui concerne les détails, au 19ème siècle les Français admiraient déjà la méticulosité qui se dégageait des estampes. Les artistes s’appliquaient consciencieusement à choisir le papier, la couleur, les encres, les pinceaux, les thèmes et les coloris ; les films ne firent que confirmer ce goût et ce talent pour la précision. La caméra de ces cinéastes du nouveau monde n’hésite devant aucun détail; c’est un art obstiné du détail, comme l’écrit Baatsch [7],  qui se transforme aux yeux des critiques en prouesse technique.
 

«Le Japonais sait, comme le Français, multiplier les touches sûres et précises dans une sorte de pointillisme, une mosaïque d’impressions répétées [8]»

Grâce à cette orchestration, les cinéastes japonais sont capables de développer un véritable langage de la caméra, c’est-à-dire «une forme dans laquelle et par laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle, ou traduire ses obsessions, exactement comme il en est aujourd’hui de l’essai ou du roman. » Un nouveau cinéma que Astruc a appelé celui de la caméra-stylo. [9]

 

"La vengeance d'un acteur"  Kon Ichikawa 1963 www.chez.com/cuisinejapon/Liens.htm.

 

Peinture de Cathy Bechennec

Beauté, poésie et raffinement :

 

Il suffit de prendre un article ou une critique, sur un des réalisateurs les plus plébiscités, pour se rendre compte de l’incroyable enthousiasme de la part des critiques, émerveillés par ces nouvelles féeries lyriques. (Voir dans la première partie le chapitre consacré à ce sujet )

Pour beaucoup de critiques, le cinéma japonais offre une puissance et une émotion sans égal. Poètes à bien des égards, les cinéastes nippons ont ce talent inné de transformer les images en odes. Le plus souvent, les critiques restent  « fascinés par le mélange de paroxysme et de raffinement qui caractérise les grands films japonais…[10]»

 

 

Peinture de Cathy Bechennec

 

Originalité, nouveauté et anti-conformisme :

 

De la découverte du septième art, du muet au parlant, de l’épanouissement artistique à l’emprise militariste, du traumatisme nucléaire au boom économique… enchaînant crises de conscience collectives et fractures générationnelles, le Japon s’est bâti sur fond d’incertitudes et de rebondissements une véritable identité à part, dont les témoignages intimes nous parviennent par écrans interposés. Il est d’autant plus déroutant que son art est partagé entre la tradition et la modernité. D’un point de vue historique, Noël Burch explique :

«le décalage entre le Japon et l’Occident avant 1930 ne fut en réalité que la résultante d’une incompatibilité entre l’élaboration en Occident des «codes de l’illusionnisme» (champ-contrechamp, raccord…) et l’indifférence japonaise à «l’illusionnisme» au sens occidental.[11] »

Effectivement, les cinéastes japonais ont continué à faire un cinéma « primitif », proche du « présentationnel », car ils n’accordèrent aucune attention aux innovations « illusionnistes » étrangères. Selon une volonté nationale, le cinéma japonais ne s’est pas « américanisé ». Pour justifier ses buts impérialistes, la droite japonaise a refusé l’élaboration d’un cinéma occidental tout en revendiquant un cinéma spécifiquement asiatique. D’autre part, l’originalité n’a jamais été la valeur fondamentale du Japon, particulièrement dans le domaine des arts. L’artiste était évalué et considéré selon sa subtilité à disposer les éléments d’une tradition séculaire de façon nouvelle et inédite.

«L’originalité, en tant que telle n’était concevable que mêlée intimement à une
maîtrise manifeste de l’esprit, et des méthodes traditionnelles.[12] »

Pour parfaire cette explication, il faut ajouter que le cinéma japonais est influencé essentiellement par le théâtre de poupées et le Kabuki. Des arts scéniques qui demeurent des arts dits «  présentationnels »qui ne recherchent en aucun cas l’idéologie réaliste. Dans ce genre de théâtre, l’acteur ne perd pas son identité en tant qu’acteur. Le public ne voit pas en lui la représentation d’une personne, mais un acteur en train de jouer. 

« L’acteur, le public et le jeu existent dans un même monde psychologiquement indifférent.[13] »

 

A l’opposé du théâtre représentationnel, dans le modèle occidental tout est fait pour convaincre le public que la scène n’est pas une scène et que l’acteur n’en est plus un. L’action scénique devient réalité. Ceci démontre qu’il y a bien une réception et une attente du public différentes en Occident et au Japon. Pendant la représentation, quand les Japonais voient l’acteur, les Français voient le personnage. Les premiers apprécient « en direct » la performance et le jeu ; tandis que les seconds les saisissent quand le spectacle est terminé. Au Japon, l’artifice de la représentation n’a jamais cherché à être dissimulé car les spectateurs ne cherchent pas à se représenter autre chose que ce qu’ils voient ; ils inventent et créent un monde imaginaire à travers ce qui est représenté sur scène. Ils perçoivent et admirent le spectacle « au premier degré ». Comme le souligne Richie et Anderson, « le public japonais n’avait pas été formé en vue d’un parfait illusionnisme au cinéma [14]»

Ces traits présentationnels se retrouvent dans les films de Ozu et Mizoguchi réalisés dans les années 30-45, mais également dans les films français avant-gardistes des années 60 et 70, comme ceux de Godard.  Parce que les cinéastes japonais conçoivent le cinéma autrement, plus proche de leur conception de la représentation, leurs films ne peuvent pas répondre au schéma de lecture qui nous est habituel. Notre grammaire du cinéma fait défaut, elle n’est plus le pilier qui soutient l’œuvre et la rend « belle » selon les normes occidentales.

On comprend mieux la distance et le scepticisme que la plupart des spectateurs « amateurs » ressentent. Alors que ces derniers recherchent l’identification dans l’évasion et l’illusion, ils se heurtent à un mur présentationnel où l’acteur n’est qu’un acteur et le décor, qu’un décor…

Les acteurs ne jettent pas des regards à la caméra, comme dans les films de Godard, mais la finalité est la même. Alors que le cinéaste français doit le montrer explicitement, en faisant un contre-pied à la sacro-sainte grammaire cinématographique, les cinéastes japonais n’ont pas besoin de montrer de signes ostentatoires. Les spectateurs nippons ont toujours regardé les représentations artistiques comme une projection factice, un pastiche de la vraie vie et non une vie  parallèle à celle qu’ils vivent.  Dans les deux cas les cinéastes refusent une sorte d’illusion spectaculaire, soit en dénigrant les règles de l’illusionnisme (Godard), soit en ne cherchant pas à les reproduire (Ozu).
 
La modernité dans le cinéma japonais est-elle aussi volontairement recherchée ? Contrairement aux apparences, le Japon a été le premier à réaliser des productions avant-gardistes, dès la fin des années 20. Le courant progressiste, « Pro Kino » a été à l’origine de nombreux courts métrages qui influencèrent par la suite un certain nombre de cinéastes japonais.

Ozu, un des cinéastes les plus étonnants dans ce registre, fit énormément parler de lui pour l’originalité de sa mise en scène. Dix ans avant Antonioni et vingt ans avant Wim Wenders, il avait déjà créé sa propre grammaire et dérogé à l’une des plus grandes règles du cinéma classique: l’action. Il déclarait:


 «Les films à trame évidente m’ennuient maintenant. Naturellement, un film doit avoir un certain type de structure, sinon ce n’est pas un film, mais je trouve qu’un film n’est pas bon s’il contient trop de drames et d’actions. Je veux faire ressentir aux gens ce qu’est la vie, sans marquer de hauts et de bas dramatiques.[15]»
 

Ainsi Ozu s’était déjà permis de « donner une gifle » à l’art cinématographique pour mieux cerner le monde qui le préoccupe. Sa mise en scène paraît particulièrement insolite, notamment pour cette célèbre position de la caméra au ras du sol, cette immobilité persistante, et ces « faux » champs-contrechamps. Un manifeste artistique « Ozuien » qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais dont la source est intarissable.
 
 
D’autres nouveautés esthétiques viendront confirmer l’idée que le cinéma japonais  « est à la fois le plus original et le plus libre.[16] » Notamment quand Yamamoto ose, en 1961,  dans son film Quartier sans soleil, le «  premier flash-back de l’histoire du cinéma qui soit vu avant que le spectateur sache quel est le personnage qui le pense. [17]»

Face à ces innovations et ces nouvelles façons de représenter ou de « présenter », pour reprendre l’explication de Burch, les critiques trouvent amplement matières à interpréter et analyser ces images et ces mises en scène « à la japonaise ». 


 

Peinture de Cathy Bechennec La symbolique, le message :

 

Le critique a tendance à valider son analyse par une approche psychologique. (Voir le chapitre consacré à ce sujet dans la première partie )

La recherche de significations et d’interprétations dans le cinéma japonais est particulièrement abondante car il n’existe pas  véritablement de limite.  A cette époque, les connaissances restreintes sur la culture et les mœurs nippones, vont permettre aux critiques de donner libre court aux explications et aux corrélations qu’ils apportent aux images. Comme le souligne Prédal:

«L’empire du Japon est, de tous les pays du monde,
Celui qui offre le plus d’attrait aux imaginations.»
[18]

Quelques années plus tard, plusieurs critiques se rendent compte de leur ingénuité en découvrant qu’à travers leurs œuvres, les cinéastes japonais sont plus à la recherche d’une quête naturaliste que symbolique. Leurs interprétations garderont toutefois leur légitimité en France. Les œuvres qui garantissent une certaine répercussion sur le spectateur et apportent  un message ne sont jamais neutres ou seulement spectaculaires… à l’image du film de kobayashi:


 «Kwaidan est un film admirable qu’il faut voir non pour se « distraire », bien sûr, mais parce qu’on se sent différent, enrichi, un peu « meilleur », si je puis dire, après l’avoir vu.[19]»

 


Peinture de Cathy Bechennec Les références ocidentales

 

Les critiques de l’époque, cinéphiles de surcroît, se font un devoir, mais aussi un plaisir et même un jeu, de faire des rapprochements entre certains films, séquences, ou mouvements de caméra… A chaque film correspond son homologue, et ce n’est pas parce qu’ils sont japonais qu’ils échappent à cette règle. Il y a en effet un langage universel que l’on retrouve dans chaque film, quelle que soit son origine : c’est celui de la mise en scène.

Pour Rivette c’est la seule façon de comprendre les cinéastes japonais [20] ; il ne faut pas voir en eux le phénomène japonais, mais le côté « cinéma ». Un plan reste un plan, qu’il soit « japonisé » ou non. En partant de ce principe, le jeu des comparaisons paraît plus évident à tenter.

Je ne reviendrai pas en détail sur toutes les références émises par les critiques et mentionnées dans la premiere partie, j’en rappellerai simplement les grandes lignes.

Si les cinéastes japonais acquièrent l’appellation « d’auteur », c’est surtout parce que leurs œuvres rejoignent celles réalisées par d’autres auteurs occidentaux confirmés. La plupart des références sont américaines, russes, italiennes, allemandes et françaises.

En tête de liste : Eisenstein, Bergman, Fellini, Bresson, Vadim, Flaherty. Tous cités selon la cohérence des univers, sujets, thèmes, mise en scène…Quelques-uns encore seront évoqués parmi d’autres, aux détours d’une phrase, ou seulement conviés dans ce tourbillon sur une simple idée, prémisse d’un rapprochement entre deux réalisateurs. Vision d’une liste non exhaustive : Vigo, Renoir, Kazan, Leone, Ford, Gance, Russel, Rivette,  Dreyer, Godard…
 
En ce qui concerne les genres des films japonais, la plupart correspondent  à ceux qui sont le plus souvent défendus par les critiques occidentaux.Dans un premier temps, quand ces derniers découvrent Les enfants d’Hiroshima et Okasan, ils remarquent tout de suite la corrélation entre ces deux films et le néo-réalisme italien … genre qu’ils affectionnent particulièrement. On trouve aussi des traces du western dans les films de Kurosawa, de l'expressionnisme allemand et surtout, avec la nouvele génération de cinéastes, il s’en est suivi la venue de films qui se sont directement inspirés de la nouvelle-vague, genre créé par les critiques eux-mêmes.

 

 


Peinture de Cathy Bechennec  La nouvelle vague : France / Japon
«Une des plus importantes révélations
de l’année 1969 fut indubitablement
celle du nouveau cinéma japonais.
[21] »

 

Alors que la nouvelle vague française a formé ses cinéastes, cinéphiles, historiens, c’est au tour du Japon de faire découvrir les merveilles réalisées par sa nouvelle génération indépendante. Très engagés, de jeunes cinéastes nippons « sous influence » vont critiquer avec ferveur l’académisme de leurs aînés, tout en déclarant leur admiration pour ce nouveau cinéma européen. Comme leurs congénères, ils vont chercher à « briser les rigidités narratives et morales (du cinéma classique)  en cherchant à filmer un nouveau monde [22] ».
 
Si les premiers films de Oshima, Yoshida ou encore Shinoda ont été tournés dès le début des années 60, ils n’apparaissent sur les écrans français que vers la fin de cette décennie. Ce décalage a été une aubaine pour les cinéastes japonais, puisque leurs films ont débarqué au moment où ceux de la nouvelle vague française avaient déjà fait leurs preuves et trouvé leur public. Le cinéma indépendant nippon s’est ainsi inscrit dans la politique du moment et a donc remporté un certain succès. 

En quoi la nouvelle vague japonaise se rapproche-t-elle de la française ?

Les codes de l’illusion entre ces deux genres cinématographiques sont-ils sensiblement les mêmes ? 

 

La découverte du cinéma indépendant japonais relance la machine critique pour des raisons idéologiques similaires en France. Dans la nouvelle vague japonaise on retrouve ce combat, les difficultés que rencontrent certains cinéastes à mettre à bien leurs projets, à affirmer leurs idées, à lutter contre le cinéma traditionnel, populaire et industriel… Tous les genres et toutes sortes d’innovations sont exploités.

La nouvelle-vague refuse le conformisme trop édulcorant de l’ancienne société et  dans un mouvement à contre sens, elle recherche la véritable identité culturelle et sociale du Japon contemporain. Citons Terayama, Yoshida, Oshima, que la critique se félicite de comparer à Godard, Vadim, Fellini ou Bunuel.  Des films qui vont jusqu’à "déconstruire" l’objet cinéma dans un souci expérimental !

L’exemple le plus frappant est celui du réalisateur Shuji Terayama et de ses deux films Cache-cache pastoral et Jetons les livres et sortons dans la rue . Ce dernier mène un véritable combat contre le cinéma traditionnel en dénonçant ce que Lefevre appelle : « son influence paralysante.[23] »

D’autres films remettent en question certains genres : chez Oshima par exemple, ses deux « empires »  réalisés grâce à Anatol Dauman ( producteur français), se retrouvent en équilibre entre deux catégories : celles que la censure française nomme les films « à caractère pornographique » et « les œuvres d’arts érotiques. »

D’autre part, les cinéastes japonais s’engagent politiquement ou surtout socialement. Même pour les films retraçant de grandes épopées historiques, le message se veut actuel. A l’exemple de La condition humaine  et de Hara kiri, c’est à travers des histoires anciennes que ces films parlent d’histoires contemporaines. Il devient alors évident que «le cinéma japonais est un cinéma profondément imprégné par son engagement dans ses problèmes et les luttes de notre temps.[24] »

Il ne faut pas oublier non plus l’ancienne génération qui n’a pas dit son dernier mot. En 1970, Kurosawa revient difficilement, après un suicide manqué, dans les studios de cinéma. Il  va fonder avec Ichikawa, Shindo et Kinoshita une maison de production, la Yonki no Kai (« Société des quatre chevaliers »), afin de pouvoir tourner son film en couleurs Dode’s kaden .
 

Nouveaux et anciens cinéastes répondent sur plusieurs points au parti pris de la nouvelle vague française : Le cinéaste qui est aussi auteur, écrit ses propres scénarios et donne une nouvelle approche de la société. Faute de budget, il tourne souvent en décors naturels avec une équipe légère, parfois en faisant appel à des comédiens non professionnels. Il doit être évidemment capable d’improvisations sur le tournage.

Ces exemples démontrent les corrélations entre les exigences esthétiques qu’affectionnent les critiques français et les réalisations nippones. Il existe d’autres indices moins significatifs mais suffisamment démonstratifs pour témoigner du caractère « auteuriste » qui se dégage des productions japonaises importées en France à cette époque.

La diffusion d’une grande partie des films s’effectue dans les festivals européens ou dans les rétrospectives de la cinémathèque[25]. Ces deux événements sont les lieux de prédilection des critiques, ce qui présuppose que ces films sont destinés à ce genre de spectateurs

Peinture de Cathy Bechennec

 

Si les premiers films nippons ont déstabilisé quelque peu les critiques qui découvraient un monde jusqu’ici inconnu, ces derniers ont très vite réalisé l’importance et de la qualité de ce cinéma. Ralliant aussitôt ces nouveaux cinéastes à leur politique, ils découvrent alors un septième art qui fait la part belle aux films d’auteurs. Il a pourtant fallu attendre quelques années et faire des recherches souvent extraites d’études étrangères, pour avoir la confirmation de l’autonomie artistique de ces cinéastes. Les critiques n’avaient effectivement que très peu d’éléments concernant l’élaboration du film et sur le cinéaste lui-même. La « politique des auteurs » sollicite un savoir important sur les réalisateurs : leur filmographie, leur bibliographie, leur biographie etc.… mais dans le cas des cinéastes japonais, les sources sont très maigres, voire inexistantes. Toutefois l’essentiel était là puisque leurs films étaient la preuve irréfutable d’une oeuvre  digne d’un auteur…  Et Rohmer de conclure :


 «En ce qui concerne le Japon, sachons appliquer, aussi,
une «politique des auteurs
[26]».


Ainsi, un des privilèges incontestables des cinéastes japonais diffusés en France, c’est d’avoir été découverts à cette période charnière. Une grande majorité d’entre eux répondant aux exigences des critiques, a pu rejoindre le cercle très fermé des « auteurs ». Malgré la polémique sur Kurosawa et Mizoguchi à l’orée de leur découverte, Les cahiers du cinéma et Positif finirent par se mettre d’accord sur le talent « auteuriste » de ces deux cinéastes. Suivirent Kinoshita, Yamamura, Ichikawa, Immamura, Kinugasa, Oshima, Ozu … qui ont  également eu le mérite d’être considérés comme des auteurs et ont pu ainsi être défendus en toutes circonstances. Comme le veut leur politique :

« Il s’agit de choisir des auteurs, puis de les défendre, coûte que coûte.[27] » 

Ce rapprochement volontaire devenu une habitude et une exigence pour les distributeurs, va entraîner quelques désagréments dans la diffusion et l’exploitation des productions japonaises en France. La politique des auteurs « sert » aux critiques pour justifier leurs coups de cœur « car l’argumentation n’est jamais assez rigoureuse pour qu’on ne puisse vraiment pas l’inverser et prendre les causes pour les conséquences. [28]» C’est pourquoi Antoine De Baecque écrit : « La politique des auteurs, c’est d’abord ce volontarisme dans l’amour des cinéastes élus »

Ce culte séculaire voué à l’artiste et ce favoritisme pour les films indépendants, ou pour les productions qui n’empruntent pas les circuits commerciaux, posent le problème d’un choix trop élitiste qui défend un certain genre au détriment d’un autre.

Dans le cas du cinéma japonais ce sont les films de science fiction qui en ont le plus soufferts.  Ce cinéma de genre est boudé par les critiques, ainsi que tout ce qui ressemble de près ou de loin aux films hollywoodiens à grand spectacle. Ces productions n’ont pas de place dans les pages des revues ; quelques brèves lignes,  tout au plus,  pour suivre l’actualité des sorties.

Ce manque d’intérêt pour la science fiction s’explique par l’absence d’informations et de références culturelles pour ce genre de films en France. Alors que les Japonais sont les rois en la matière, réalisant en 1960 une cinquantaine de ces films sur les 250 produits, les Français n’en ont réalisé qu’un seul  en cinq ans[29]. Pourtant c’est un genre qu’affectionne un grand nombre de spectateurs français, mais ce détail ne joue pas en sa faveur  dans la balance des critiques ; il aurait même tendance à le dévaloriser un peu plus.
Il faudra attendre les années 70 pour que la science-fiction reçoive enfin une certaine considération. Elle partage désormais l’affiche avec des films d’auteurs dans les symposiums et les journées découvertes.

 

Cette approche «auteuriste» quasi-exclusive et cette indifférence pour les films de genre, engendre une interrogation :

 

La vague japonaise a - t - elle réellement existé en France ?

 

Aussi bien dans les livres d’histoires du cinéma que dans les ouvrages sur le cinéma japonais, la mode pour les films nippons est unanimement reconnue après la découverte de Rashomon, puis de celle de l’empire des sens. Quand on lit les revues spécialisées de l’époque, le cinéma japonais a lui aussi son quota d’articles.

A en croire ces ouvrages, le cinéma japonais a connu un véritable engouement en France spécialement dans les années 50 ; mais si l’on s’en tient à la fréquentation, les films japonais sont loin de remplir les salles. Dans ce cas la vague nippone n’a existé que dans les revues,  et elle a perduré dans les manuels d’histoires ; car excepté l’empire des sens,  le public a rarement répondu présent à ce cinéma. Guy Gauthier m’écrit à ce propos :


 « Je ne sais pas s'il y a eu un engouement pour un cinéma japonais en général…
Image et son faisait régulièrement le point sur les cinémas étrangers qui se
signalaient simultanément par quelques films sur les écrans, ou à l'occasion
d'une semaine organisée par un service culturel.
[30] »

L’engouement pour le cinéma japonais en France était plus médiatique que populaire. Il devient par la suite Historique: les cinéastes japonais doivent cette consécration en très grande partie au soutient des critiques et à la politique «auteuriste» qui régnait en maître à cette époque. Ce n’est pas le public du samedi soir qui a fait la renommée des réalisateurs nippons, mais celui des festivals et des petites salles d’art et essai. La vague du cinéma japonais fut « cinéphilique » et « critique ».

 
A la lumière de ces quelques contextes, parmi les plus importants et influents dans une société, on comprend à quel point la situation en France joue un rôle majeur dans la réception du cinéma japonais.En réaction contre la tension politique due à la guerre froide,  les Français choisissent de s’évader dans des productions exotiques. Dès que le Japon se remet de sa défaite, il devient très vite pour la France un nouveau pays attractif, aussi bien économiquement que culturellement. Avec une toute nouvelle reconnaissance mondiale des artistes nippons, une redécouverte des « japonaiseries » et une nouvelle façon de méditer… le Japon attise la curiosité et un certain enchantement, sorte de nouvel Eldorado qui renferme une richesse artistique insoupçonnée.

Toutefois cet art n’aurait pas trouvé preneur en France si le contexte cinématographique avait été différent. Les critiques ont joué un grand rôle dans la notoriété puis la postérité des réalisateurs japonais.
Ce phénomène résulte aussi de la façon de penser les films à cette époque : Si une oeuvre est considérée comme un film d’auteur, le cinéaste rejoint très vite le panthéon de l’élite cinématographique pour le restant de sa vie. Ardemment défendu par les critiques, rien, ou presque, ne pourra rompre son excellence. 
 
 
Dans bien des cas les cinéastes nippons fascinent, étonnent, interpellent, à tour de rôle les critiques. Restant fidèles de films en films pour les plus grands, leur imagination et leur talent concordèrent avec l’ambition recherchée des critiques. Si les critiques ont effectivement si bien défendu et apprécié le cinéma japonais, c’est parce qu’il correspondait à leur conception du cinéma. C’est au nom de la virtuosité et de la maîtrise artistique, que les critiques défendent et rendent hommage à ces œuvres du nouveau monde.


 «Il faut y voir l’expression d’un trait spécifique du cinéma japonais en ce qu’il a de meilleur : la prépondérance du «film d’auteur», l’entier contrôle du réalisateur sur son œuvre, du choix du sujet à celui de ses collaborateurs, et à la finition technique, en particulier le montage. [31]»

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Peinture de Cathy Bechennec

 

L’exotisme n’est pas astreint à cet engouement, mais il est considéré selon les critiques,
comme une séduction visuelle secondaire.
L’attrait culturel ne peut pas jouer un rôle majeur dans la réception des films ;
ce serait admettre que l’exotisme est à l’origine des récompenses festivalières et de l’enthousiasme déclenché par ce cinéma. Cependant,
il serait inconcevable de faire abstraction de cette caractéristique propre aux films venus d’Orient.

L’exotisme est inéluctable dans les productions japonaises et de ce fait, il suscite bien des observations.
Ainsi, il s’avère intéressant de connaître et d’analyser
quel rôle a joué le caractère exotique dans la réception du cinéma japonais en France

 

Sommaire

 

 

[1]« La cinéphilie », p : 10
[2] n°19
[3] « Les films de ma vie »,  p : 20,21,22 :
[4]. La politique des auteurs et théories du cinéma, p : 114
[5] Arts, 20 juin 1954 , p : 3
[6] Tessier, « La condition humaine », Cinéma, n°129, octobre 1968 , p: 123
[7]  Henri-Alexis BAATSCH, Hokusaï, Hazan, Milan, 1985, p: 16
[8] Sadoul, « sous les toits de Tokyo », Lettres françaises, n°547, 17 décembre 1954, p : 6
[9] Article « Naissance d’une nouvelle avant-garde : la caméra stylo. » n°144
[10] Lettres françaises, « la condition humaine »,  7 juin 1968, p : 16
[11] Pour un observateur lointain, p :69
[12] ibid. p : 161
[13] ibid. p :73
[14] The japanese film : Art and industry, New York Grove Press, 1960, p :39
[15] Remond, « Voyage à Tokyo », Télérama, n°1464, février 78,  p :70
[16] Arts, « Le seigneur Mizoguchi », 3 mai 1961, p : 7
[17] Douchet, Arts, « Quartiers sans soleil : Une révélation », 12 au 18 avril 1961, p :7
[18] René Prédal, « Fantastique et science fiction dans le cinéma japonais », Image et son, n°222, déc.1968, p :48
[19] Baroncelli, Le Monde, « Kwaidan », n°6468, 30 octobre 1965, p : 16
[20]« Mizoguchi vu d’ici », Cahiers du cinéma, n°81, mars 1958, p :28-30
[21] Capdenac, « L’éclat et la dureté du diamant », Lettres françaises, n°1320, 4 au 10 février 1970, p : 16
[22] Max TESSIER, document Internet à l’occasion du festival  « les trois continents » en 1997
[23] Lefèvre, Revue du cinéma, n°267,jan 1973, p :121-122
[24] Sadoul Lettres françaises,  n°987
[25] En 1963, 1971 et 1973
[26] Rohmer, cahiers du cinéma, n°73, juillet 1957, p : 46, à propos des Amants crucifiés.
[27] La cinéphilie, p : 22
[28] le cinéma d’auteur
[29] Arts, « Les Japonais rois de la science-fiction », 12 avril 1961, p : 7
[30] Courrier du 17 mars 2004
[31] Tessier, « La condition humaine », Cinéma, n°129, octobre 1968 , p: 123