Une grande famille

 


 
 

 
«La famille japonaise est ainsi,
comme autrefois la famille romaine, un petit Etat dans l’Etat...»
[1]

Jusqu’en 1946, l’empire nippon ne connaissait que le système de politique patriarcale, où chaque japonais était le fils de l’empereur, descendant direct des dieux créateurs du Japon  Dans ce pays, vivre en communauté parmi une population très dense, est devenu un art du respect. L’esprit individuel n’existe pratiquement pas, chacun ne vit que par rapport à un clan, une famille, un rang social, une section militaire. Une grande famille composée de plusieurs petites cellules familiales.
Le samouraï ne subsiste que par son appartenance à un clan
(Harakiri)
 
Le soldat n’existe que par son bataillon
(La condition humaine)
 
La geisha s'affirme que par la maison à laquelle elle appartient
Chaque groupe social est une seconde famille, avec à sa tête un père, ( Shogun, Daimyo, général…) ou une mère ( femme qui tient la maison close…). S’écarter ou renoncer à sa cellule est considéré comme un affront indigne d’un Japonais. Un samouraï devient un rônin ; un soldat n’est plus qu’un déserteur ; une geisha, une dépravée ; une femme infidèle ou réfractaire, une condamnée à mort. 
 
Sous le régime impérialiste, la famille faisait figure d’une gigantesque fourmilière, sorte de compagnie militaire où chacun ne vivait que sous la soumission respectueuse de son supérieur, dans l’effort commun de servir son pays. On pourrait résumer cette règle de conduite par la maxime : « Tous pour un et un pour tous » chère aux mousquetaires d’Alexandre Dumas !
L’américanisation et son gouvernement capitaliste ont quelque peu changé ces règles, comme le révèlent les films d’Ozu axés principalement sur le milieu familial.La première famille, celle qui représente le noyau initial et dans laquelle on naît et grandit, est un thème cher à Ozu ; si cher qu’il reste le thème principal de toutes ses œuvres. Pour bien se rendre compte de l’évolution des mentalités, il suffit de regarder un de ses films  avant et après la guerre. En 1932 quand il réalise Les gosses de Tokyo,  le problème du respect et de la soumission sociale est déjà remis en question par la jeune génération qui doit se confronter à la rigidité et à l’intolérance des parents, dignes représentants d’un asservissement national.  A la fin de sa carrière, Ozu met en évidence un nouveau comportement des mœurs de la jeunesse. Dans son film Fin d’automne réalisé en 1960, il ne s’agit plus  d’affrontements. La jeune Ayako, poussée par les amis de son défunt père, attend cependant d’être amoureuse avant de se marier. Dans Voyage à Tokyo, on constate que les parents sont délaissés par leurs enfants, mariés et plus émancipés. Le respect typiquement japonais n’est pas remis en cause ; le détachement entre les générations est seulement dû à une affirmation du « Moi » intérieur.

Le mot "respect" est lui aussi ancré dans les mœurs japonaises ; il raisonne comme une évidence, un rythme de vie, qu’il soit exprimé envers ses semblables, ses supérieurs ou ses descendants.

Ce respect d’autrui  manifesté par une politesse qui semble souvent hypocrite ou exagérée à nos yeux, est davantage une question de culture ou de religion au Japon. Ces fameuses courbettes à répétition qui vont parfois jusqu’à l’écrasement au sol devant une autre personne semblent bien excessives pour les néophytes. Roland Barthes a tenté d'éclairer ce phénomène en l'expliquant par ces termes :

« Le salut peut être ici soustrait à toute humiliation ou à toute vanité, parce qu’à la lettre
il ne salue personne; il n’est pas le signe d’une communication, surveillée, condescendante
et précautionneuse, entre deux autarcies, deux empires personnels…il n’est que le trait d’un
réseau de formes où rien n’est arrêté, noué, profond. 
[2]»
 

Les thèmes énoncés parlent essentiellement d’un peuple, de sa façon de vivre et de penser.
Des sujets qui reviennent fréquemment dans les films mais dont la critique aime aussi  parler,
exposant ainsi la différence comportementale, environnementale et relationnelle qui sépare les Japonais des Européens.

Si ces thèmes transpirent une vérité universelle,
ils ont des particularités exotiques que les cinéastes japonais exploitent avec une certaine singularité.
L’humanité est dévoilée selon la culture du pays et les thèmes évoqués vacillent entre la tradition et
les nouvelles mœurs occidentalisées.
 
 


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[1] Texte de Arthur de Claparède,  « dignité de la mère. Monotonie du foyer (1887) », extrait du livre de Patrick Beillevaire, « Le voyage au Japon », Robert Laffont, 2001, p :667
[2]« L’empire des signes », Seuil, 2002, p :401