Note finale

«Parce qu’il est le propre d’une revue
critique de porter des jugements»

 

Il y a les films qui déplaisent et les films qui exaltent.
Il y a des films qui sont encensés et d’autres qui sont délaissés.
Il y a des films qui oscillent entre les louanges et les reproches.
 
 

  • Déception et remise en question
 « Le cinéma japonais, peut avoir
tout comme un autre, ses faiblesses [1]»

 
 

Au début des années 60, après la période faste et réjouissante des premières découvertes cinématographiques japonaises, certains critiques français se lassent. Leurs propos font état d’un agacement de leur part. Le trouble de la nouveauté à tendance à se transformer en désillusion blasée.
 
Les belles images deviennent « un splendide album de super-images [2]», les décors et les costumes perdent le leur éclat naturel pour devenir des fioritures « savamment reconstitués par quelque Violet Le Duc japonais […][3] .» Les histoires manquent d’authenticité ; trop poncifs, les personnages deviennent superficiels et les situations grand-guignolesques.

On s’amuse de ces relations « sexuelles » trop bavardent et de cette conception de l’amour trop sagement dépouillée d’élans érotiques. La sincérité sensuelle des cinéastes touche peu le cœur du public français. Etranger à cette représentation trop édulcorée;

- L’étrange obsession amuse les spectateurs cannois[4]
- Les amants crucifiés laisse Tandonnet sans émotion[5]

 

Les cinéastes ont tendance à en faire trop;

Gauthier accuse Shindo de faire du « chantage à la misère. » Dans Onibaba et L’île nue, les artifices sont grossiers et redondants et les effets spectaculaires sont poussés jusqu’aux limites de la malhonnêteté. Lefèvre ira jusqu’à dire que « se payer ainsi la tête du spectateur relève de l’indécence la plus rouée. [6]» 

Ichikawa est lui aussi souvent montré du doigt pour son style jugé médiocre, lourd et sans invention. Dénigrer à plusieurs reprises, ses films La harpe de Birmanie et L’étrange obsession, sortis en France en 1957 et 1960, sont considérés comme des « navets » de premier choix : assommants et grotesques pour leur mise en scène et avec des histoires parfaites pour les patronages[7].

Kurosawa ne manque pas à l’appel, décrié dorénavant  pour son style lourd, grimaçant et caricatural dans Yojimbo et Chien enragé. Tout paraît vieillot pour Tavernier, « dans ce style qui ne cherche qu’à frapper le spectateur, l’étonner et qui, pour remplir ce but, utilise tous les effets, tous les symboles possibles et imaginables, ce qui donne au film un petit aspect de catalogue, de manuel rhétorique.[8] »
 

Phase de désenchantement vis a vis du cinéma japonais, on a l’impression que certains critiques ne veulent surtout pas se "faire avoir" par quelques « esbroufes » exotiques. Maintenant que le charme de la découverte s’estompe, ils ne voient que le côté artificiel et caricatural des films. Tout leur semble faux, superficiel ; les films ne sont plus qu’une   gigantesque pièce de théâtre.

 

"Le garde du corps" de Akira Kurosawa 1961

Des films entre deux:

 

 

Partagé entre deux appréciations, certains films sont à la fois détestés d’un côté et admirés de l’autre. Rien d’anormal à cela, c’est même plutôt encourageant ; les critiques prennent position, mais les arguments ne sont pas encore tout à fait fondés. Seuls les films dont les réalisateurs sont peu représentés en France font l’objet de ce genre de débat. Le jugement se révèle en effet délicat faute d’éléments indispensables pour une bonne analyse.
 
On se souvient de l’altercation Kurosawa / Mizoguchi mise en scène par les Cahiers du cinéma et Positif jusqu’à la fin des années 50. A cette époque, la politique des auteurs aidant, chacune des revues avait fait main basse sur un des deux cinéastes.

Les Cahiers préférait de loin la pureté poétique et humaniste de Mizoguchi, reprochant à Kurosawa son côté fruste, prodigue de scènes spectaculaires et exotiques pour en mettre plein les yeux.

Quant à Positif, la revue avait tendance à dénoncer la réalisation plate, trop distante et trop polie de Mizoguchi, admirant en contre partie la force des sujets et la maîtrise technique de Kurosawa. En 1958, il est encore inconcevable, pour Rivette, de les rapprocher :

«… On ne peut comparer que ce qui est comparable, et d’ambitions aussi hautes. Mizoguchi, seul, impose le sentiment d’un langage et d’un univers spécifique, qui n’ont de comptes à rendre qu’avec lui-même.[9] »

 

Ce face à face se révéla pourtant inutile et vain puisque tous deux égaux, se révélant à leur manière comme des génies de la réalisation.

Dorénavant les revues se contredisent  pour des réalisateurs comme Ichikawa, Shindo, Kobayashi, Oshima, Kinugasa … C’est ainsi que La harpe de Birmanie de Ichikawa tangue entre un éloge dithyrambique de Chevassu qui voit dans ce film « une très grande œuvre qu’aucun homme digne de ce nom ne saurait refuser de voir[10] » et une « pénible japoniaiserie festivalière […][11] » pour la revue Positif. De même le film de Shindo, L’île nue, oscille entre des critiques qui ne ressentent qu’un profond ennui, et d’autres qui désignent cette œuvre, comme « un petit chef d’œuvre de tendresse, de pudeur et d’humanité. [12]»  On pourrait encore citer le Harakiri de Kobayashi , admiré par Positif[13] et Image et son[14], mais jugé sans génie par les Cahiers du  cinéma[15].

La liste est loin d’être close mais il serait vain de continuer l’énumération. Il suffit de comprendre que c’est grâce à cette différence d'appréciation que la critique se maintient et évolue,  pour parfois, après réflexion, harmoniser ses positions 

"Harakiri" de Masaki Kobayashi 1963

 

Chef-d’œuvre

 


La critique française ne trouve pas que le septième art japonais  est exempt de prodiges cinématographiques. De nombreux films ont déjà porté la mention de « Chef d’œuvre » ou reçu les quatre étoiles [16] des Cahiers du cinéma (Les amants crucifiés ont été gratifiés des**** en Juin 57).

Certains, comme on l’a vu précédemment, sont ovationnés par des critiques à l’instar des autres. Pour ce qu’il en est de Kurosawa et Mizoguchi, rien ne laisse envisager, sauf  exception, une ombre sur l’échelle des louanges. Perfection pour l’un et génie pour le second, les éloges sont toujours ravivés film après film. Les deux cinéastes sont unis par la critique française pour la fascination qu’ils exercent par l’intermédiaire de leurs oeuvres : Entre le génie de L’idiot [17], l’extraordinaire dynamisme des Sept samouraïs[18],   la puissance de suggestion et d’émotion de Vivre[19], un Barberousse qui atteint au sublime[20] et un Rashômon qui surprend pour sa perfection technique[21], Kurosawa se veut l’empereur incontesté et mérité du cinéma japonais. Chez Mizoguchi tout est exceptionnel : Du scénario à la mise en scène[22], de la plasticité des images[23] à l’expression cinématographique [24], son nom devient  synonyme de perfection.

 Cette première génération compte un troisième illustre cinéaste découvert un peu plus tard : Ozu, le troisième élément de la sainte trinité ! Les critiques, en 1980, en sont encore au stade du tâtonnement. Ils restent vigilants et attentifs, n’affichant pas leur enthousiasme aussi facilement que pour Kurosawa et Mizoguchi :

« Il s’agit de ne crier ni au génie (Mizoguchi) ni à la grandeur (Kuroszawa), mais plus simplement de saluer une rigueur exemplaire, une continuité thématique et formelle peu vue jusqu’ici. [25]»
 

 

Critiquer, c’est juger, comparer, classer.
Ce n’est pas parce que le cinéma japonais est Japonais qu’il échappe à cette règle.
Par le manque de comparaison, les points de vue sont parfois trop pondérés ou au contraire trop excessifs,
mais pour certains réalisateurs ils sont néanmoins avérés et justifiés.


 

 

Sommaire

 


 

[1] Tandonnet, à propos de Les amants crucifiés, « mais la couleur est belle », Positif, n°25-26 , rentrée 1957, p :72-73
[2] Chevassu, à propos de passion juvénile, Image et son, n°122-123 , mai-juin 1959, p :28
[3] Sadoul, «Le Japon » , Cahiers du cinéma, n°51, p :14, oct 1955
[4] Cinéma, « M. Moto saisi par la débâcle »n°47, juin 1960, p :24-25
[5], « Mais la couleur est belle », Positif, n°25-26 , rentrée 1957, p :72-73
[6] Cinéma, n°104, p :110, mars 1966, p :110-111
[7] Cahiers du cinéma, n°113, nov 1960, p :64 / Positif, n°24, mai 1957
[8] Cinéma, n°60, oct 1961, p :103-104
[9] Cahiers du cinéma, « Mizoguchi vu d’ici », n°81, mars 1958, p :28-30
[10] Image et son, n°102, mai 1957, p :16
[11] n°24, mai 1957
[12] Cinéma, n°60, oct 1961, p :40-41
[13] n°56, nov 1963, p :63-65
[14] Arnault, n°169, jan 1964, p :95-96
[15] Labarthe, « Le piège»,  n°147, sept 1963, p :56-57
[16] En novembre 1955, les Cahiers du cinéma instaure le système des étoiles :  • « inutile de se déplacer », * « A voir si on aime ça » ,  ** « A voir »,  *** « A voir absolument »),  **** « Chef-d’œuvre »
[17] Beylie, Ecran, n°14, avr 1973, p :62-63
[18] Tessier, Revue du cinéma, n°355, nov1980, p :53-55
[19] Labre, « Humilié et initié », Positif, n°235, oct 1980, p :13-17
[20] Bassan, Ecran, n°65, jan1978, p :57-58
[21] Lo Duca, « Venise ou le cinéma au fil de l’eau», Cahiers du cinéma, n°6, nov1951, p :33-35
[22] Fargier, Cahiers du cinéma, n°290-291, juil-aout 1978, p :45-47
[23] Allombert, Image et son, n°125, nov 1959, p :16
[24] Lefevre, Image et son, n°138, fev 1961, p :23
[25] Revue du cinéma, Hors série 1980, p :169-170