Un pays profondément humaniste

 

 

« La vérité de l’être ne s’atteint que
 hors du monde de la vie matérielle et sociale…
 et ne vaut que dans l’expérience intérieure et individuelle.
 [1]»

 

La condition humaine, n’est pas seulement un film de Kobayashi, c’est aussi un des thèmes majeurs du cinéma japonais. L’homme face aux évènements tragiques qui l’entourent, ses états d’âme et ses réactions sont les principaux sujets abordés par la grande majorité des films contemporains diffusés en France, entre 1950 et 1980. Presque une tradition au Japon, le cinéma est le reflet des mécaniques humaines à travers l’histoire.
La souffrance humaine n’est pas une fatalité comme en occident, mais plutôt un passage obligé. Cela tient d’une philosophie issue du bouddhisme dans laquelle, comme l’explique Rieupeyrout, « l’homme doit se résigner à ses propres douleurs, avoir pitié des souffrances de tous les souffrants, hommes ou animaux […] [2]». Au-delà ce cette sagesse, les réalisateurs japonais ont tout de même voulu dénoncer et accuser cette pénitence ethnique.
 
Chez Kurosawa, elle peut prendre plusieurs visages, tous réduits à la misère sociale. Misère pour ceux qui sont démunis, à l’image des personnages dans Dodes’kaden qui n’existent que dans la mesure où ils peuvent s’intégrer à l’univers de leur délire. Misèretoujourspour ceux qui sont malades sans pouvoir être guéris  par Barberousse. Que leur reste-il à faire sinon se laisser mourir ? «  Donner unsens à sa vie  »,  répondrai  Watanabé, qui incarne dans Vivre  le personnage le plus humaniste de sa filmographie. L’objectif ici, est de donner le bon  exemple à suivre pour appréhender les difficultés de la vie. On raconte que le film produit un tel choc sur le public japonais, qu’un fonctionnaire a dû rester alité trois jours après l’avoir vu ! [3]

Cette peinture de l’humanité dans toute son horreur, Kurosawa la traque en la parachevant par son talent d’artiste. Le résultat n’en est que plus troublant, mêlant à la fois une pauvreté dans la fiction et une richesse dans l‘esthétique de l’image.

"Vivre" de Akira Kurosawa 1952

 

Misère de l’homme présente aussi chez Mizoguchi, pour ceux que la société déshonore, notamment dans le domaine  de la prostitution. Pour le cinéaste ce n’est pas une affaire de « honte » mais de misère humaine. La rue de la honte devient pour Masson, « le spectacle d’une vérité humaine toujours à l’agonie [4] » où chaque fille est décrite avec une complaisance aiguë. Misère enfin pour les isolés et les oubliés comme dans L’île nue, où Shindo met justement à nu la pauvreté des gens avec une lucidité poignante.
 
Si la société n’avilit pas les hommes en les rendant misérables, elle peut les rendre cruels en faisant de l’homme « un loup pour l’homme. » Feux dans la plaine et La condition humaine en sont une bonne illustration.  Ce dernier film d’Ichikawa est en effet une cruelle méditation sur la dignité humaine. Les soldats livrés à eux-mêmes après la guerre et traumatisés par leur plus grande défaite, se retrouvent, selon Labarthe, au « degré zéro de l’animalité humaine. [5] » La majorité des films  traitant de l’après-guerre veut délivrer un message porteur de leçons d’humanité, d’avertissements et de témoignages pour les générations futures.   

 

      Quelques exemples pour montrer que les réalisateurs japonais ne sont pas indifférents à la souffrance humaine face à l’adversité. 

Une humanité avec un grand « H » qui sous-tend vers l’universelle.
Si les acteurs et les décors sont japonais, le message est  international.
Une humanité qui  plonge le spectateur dans une horreur précise et authentique où
se battre et lutter contre sa condition misérable devient le seul enjeu pour gagner sa liberté.

 

 

        

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[1] Magny, à propos de  vivre , Cinéma, n°255,mars 1980,p :84-85
[2] Cinéma, n°6, juin-juil 1955
[3] Traduction de la critique de Uryu « Le cinéma japonais » rédigée en 1956 traduit dans image et son, n°243, nov 1970, p :54
[4] Masson, « l’ordre du bordel », Positif, n°236, nov 1980, p :28-30
[5]« homo homini lupus », Cahiers du cinéma, n°119, mai 1961, p :59