Politique et histoire

 

 

La guerre froide qui suivit la seconde guerre mondiale marque une période de tension dans le monde entier. En France, la quatrième république est sous le signe des conflits de décolonisation avec notamment les guerres d’Indochine (46-54), d’Algérie(54-62), de Corée (50-53) et celle du canal de Suez (56).

Face à ces crises, les films japonais deviennent un moyen de fermer les yeux sur la réalité présente. Comme nous le présente Catherine Gaston-Mathe [1], le cinéma de l’après-guerre incite plus à l’oubli et à l’évasion qu’au devoir de mémoire. On produit un cinéma amnésique, mystifié, lâche, hors de la réalité, un cinéma « d’autruche ». Le but est de « déréaliser » la guerre, de refouler l’horreur, d’ignorer et d’occulter la mémoire collective.

Besoin de décompression dans une période de tensions politiques et économiques particulièrement anxiogènes. Le cinéma d’après guerre est un cinéma de fuite qui tend à se réfugier dans le passé, la religion, le rêve et l’exotisme. Le cinéma japonais, comme il apparaît au début des années 50, répond à ces exigences.

Les films de Mizoguchi et Kurosawa sont historiques et exotiques. Il n’existe en principe aucun lien avec la réalité présente, sauf  peut-être pour le spectateur averti…

Affiche "Typhon sur Nagasaki" Yves Ciampi 1957  caius.homeip.net/affiches/.

 

Le cinéma va demeurer amnésique pendant toute la durée des troubles internationaux. Alors que le pays commence à retrouver une certaine stabilité grâce aux progrès économiques, à l’amélioration des conditions de vie et à l’accroissement  de la consommation,beaucoup ressentent encore le besoin d’aller au cinéma pour échapper à la réalité. Le public veut se divertir après ces années sombres, oublier les angoisses passées et les soucis du quotidien ;  il préfère oublier que chercher à comprendre ou connaître la vérité.

«La fuite dans l’exotisme révèle le malaise qui règne dans la France de l’après-guerre, sans permettre d’aborder les problèmes des sociétés d’outre-mer. Ainsi, Typhon sur Nagasaki [2] ne contient qu’une seule allusion à la bombe atomique.»

 

De même, la guerre froide et les conflits politico-économiques entre les deux grandes puissances, vont avoir une influence plus ou moins directe sur les décisions des jurys lors des festivals. Comme le fait remarquer Sadoul en 1954:

«Pour des raisons qui sont fort diplomatiques : l’éloignement du Japon et ses sujets historiques permettent …d’éviter les controverses que susciterait un grand prix accordé à un film américain ou soviétique…[3]»

Léonard Foujita http://www.savoirs.essonne.fr/dossiers/les-hommes/arts/article/type/0/intro/la-derniere-demeure-de-foujita/

 

Dans une nouvelle approche, on peut établir un parallèle entre l’immigration humaine et l’immigration cinématographique nippone en France.

Historiquement, la venue des premiers Japonais en France remonte aux environs de 1858, année de la signature du traité de paix, d’amitié, et de commerce entre notre pays et l’archipel. Les premières installations sont surtout militaires, diplomatiques et intellectuelles. On dénombre environ 300 étudiants japonais à Paris en 1870. Dans les années 1920 – 1930, de nombreux artistes comme le peintre Fujita (connu en France sous le nom de Léonard Foujita) et le poète Mitsuharu Kaneko s’installent dans le quartier de Montparnasse.

La grande majorité de ces ressortissants quittera la France durant la seconde guerre mondiale. Il faudra attendre les années 50 pour que les Japonais reviennent sur notre sol. Cette nouvelle vague d’immigrés peut être en partie à l’origine d’un renouveau pour la culture japonaise.

 

"l'empire des sens" Oshima 1976 http://www.lavienumerique.com/AILLEURS,La-Sony-PSP-interesse-l-industrie-porno-au-Japon_a1380.html

L’évidence d’une présence nippone sur le territoire peut marquer le début d’un engouement plus ou moins spartiate pour tout ce qui touche le Japon. Il faudra toutefois attendre la fin du 20ème siècle et le début du 21ème, pour constater un intérêt indéniable de la partdes Français pour la culture nippone. L’arrivée massive des restaurants de sushi, des boutiques de meubles, futons, tissus, vêtements et bibelots japonais très stéréotypés, va correspondre à la naissance et au raz de marée de la génération manga.

 

Les troubles liés aux évènements de mai 68 et les années qui vont suivre, révèlent des cinéastes jusque là inconnus : les indépendants. Visiblement influencés par la nouvelle vague française, comme on le verra par la suite, ils trouveront en France un terrain d’entente. Parfois censurés dans leur pays, ils vont recevoir un certain soutien financier ou éthique à l’étranger. Leurs films, qu’ils soient contestataires, érotiques ou politiquement incorrectes vont trouver une place sur les écrans de l’hexagone. C’est le cas du célèbre Empire des sens d’Oshima, désapprouvé et condamné au Japon, le film va connaître un succès phénoménal en France, notamment grâce à la révolution culturelle et sexuelle des années 70.

 

 

Le contexte politique va favoriser un certain attrait pour le cinéma japonais.
Fort de son exotisme, il s’en est servi comme atout pour sa réhabilitation en France
au moment ou les spectateurs aspiraient à un regain d’évasion extra-territoriale et « extra-fictionnelle ».

Cette atmosphère d’attente collective est l’un des éléments qui a permis au septième art nippon de connaître une attention particulière en Europe, tout comme l’économie et le commerce éveilleront le même intérêt un peu plus tard.

 

 

 

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[1] La société française au miroir de son cinéma
[2] Film français réalisé au Japon par Yves Ciampi en 1957
[3] Lettres françaises, « Japonaiseries », n°523, 1 juillet 1954