La réception personnelle :
pour ou contre

 

La lecture d’un film est déterminée en partie par une perception propre à chacun en tant qu’individu à part entière, et en  partie par une vision collective en tant que membre d’un groupe, d’une communauté, d’une société qui déterminent tacitement nos choix ; c ’est en cela qu’il existe différents modes de conditions de réception, selon les pays et les époques.  L’investiture d’un film est une opération cognitive qui interpelle différents savoirs préexistants susceptibles de s’actualiser lors de l’accueil de l’œuvre.

L’acte de réception s’apparente à un apprentissage qui met en jeu autant le contexte de l’émetteur que celui du récepteur. Selon Edgar Morin [1], les références à l’origine des réactions du public constituent « un système de systèmes », composé à la fois de l’œuvre elle-même et du contexte français. Dans ces conditions le critique en tant que spectateur français, spécialiste du cinéma, développe sa propre conception du monde.


 Peut-on dégager un type de réception française caractéristique au cinéma japonais ?

D’une manière générale, il est aisé de constater que le cinéma japonais divise l’opinion des spectateurs en deux clans distincts.  Dès 1954, Baroncelli dissociait déjà deux catégories de public qu’il nommait : Les « allergiques » et les « avocats » du cinéma japonais [2]. A croire que la réception du cinéma japonais ne peut être qu’adhésion ou rejet.  Pas de juste milieu, ni d’intermédiaire … «  ça passe ou ça casse ! »

 «Ou bien il vous touche au cœur, et on oublie vite ses défauts. Ou bien le contact sensible ne se produit pas, et sans doute risque-t-on alors de le trouver bêtifiant et passablement ennuyeux. [3]»

Cette scission est surtout valable pendant la première période, définie préalablement comme celle de la découverte. A cette époque, le marché cinématographique est très contrôlé par les producteurs japonais qui n’envoient qu’un seul et même type de film. C’est pourquoi Baroncelli peut cibler aussi distinctement deux sortes de dispositions spectatorielles. Mais si par la suite la diversité des genres est plus riche, le partage reste sensiblement le même, avec d’un côté les "partisans" et de l’autre les « opposants » .

Quand le premier film de science fiction nippon arrive sur les écrans européens [4],  il s’agit de nouveau d’une réception à deux niveaux : les « avocats » sont devenus les adversaires et la majorité des « allergiques » ont trouvé l’ardeur spectaculaire hollywoodienne qui leur manquait jusqu’à présent.


 

Les allergiques:

 

Ce sont les plus nombreux : ils regroupent tous les indécis, les indifférents et  tous ceux qui ne se prononcent pas. Il suffit de voir les chiffres pour comprendre que les films japonais n’ont pratiquement jamais remporté une adhésion populaire. Les « nipponeries » ne font pas partie du programme du samedi soir : elles sont trop souvent considérées comme soporifiques, allégoriquesou nébuleuses par la majorité des spectateurs. L’ennui vient essentiellement du rythme, conforté par une interprétation théâtrale et une mise en scène qui vient s’opposer au découpage elliptique hollywoodien.

Quant à l’exotisme, il n’est visiblement pas assez attractif et même trop racoleur pour certains critiques. En effet, si la très grande majorité des articles recueillis est le fruit de journalistes partisans,  quelques divergences d’opinion sont toutefois à prendre en considération. Les griefs portent souvent sur le caractère exotique des œuvres : toutes ces « japonaiseries » cinématographiques (étudiées dans la troisième partie) sont parfois très mal perçues par des critiques devenus sceptiques sur la sincérité des images. Pour Sadoul par exemple, les décors et les costumes perdent le leur éclat naturel pour devenir des fioritures « savamment reconstituées par quelque Violet Le Duc japonais […][5] . »  Ces chroniqueurs n’adhéreront pas pour autant au genre plus populaire de la science fiction.

 

 

 

Les nippophobes [6]

 

Malgré leur petit nombre, ils savent faire passer leurs idées et leurs opinions. Ce sont en grande majorité des intellectuels, cinéphiles, critiques ou artistes…. Tout comme les bibelots et les estampes intéressaient le milieu intellectuel bourgeois et les spécialistes au 19ème siècle, les nippophobes deviennent les nouveaux adeptes de l’exotisme et de la qualité artistique japonaise.  Une frénésie de la collection et de l’accumulation  s’engage ; ils déambulent de festivals en symposiums et en rétrospectives à la cinémathèque, afin d’assouvir leur passion en essayant de mieux comprendre l’art japonais.

Pour se rendre compte de ce qu’ils apprécient dans ces films, il suffit de relever le champ lexical adopté par les critiques pendant ces trente années d’exploitation [7]. Dans tout les cas on met en avant :

- l’originalité et la modernité de ces films 
- la maîtrise technique assurée par la richesse des détails et une rigueur remarquable
- le plaisir visuel
- la poésie et l’émotion qui s’en dégagent ...
... le tout avec une simplicité authentique.

Vers la fin des années 50, les critiques commencent à parler du caractère universel et de cette préoccupation humaniste, explicite ou sous-entendue, dissimulée derrière la façade picturale. Dix ans après, quand la nouvelle vague nippone commence à se faire connaître, les chroniqueurs s’intéressent plus aux significations.
 
Apparaît alors tout un lexique en rapport avec le symbolisme, la philosophie Zen et  la psychologie. Ce glossaire met en évidence les qualités techniques et métaphoriques des films ; comme nous le verrons, c’est au nom de la virtuosité et de la maîtrise artistique, que les avocats du cinéma japonais défendront et rendront hommage à ces œuvres du nouveau monde.

 

 

Pour ou contre, certaines conditions, moins personnelles, influencent ce jugement.
La réception des films japonais ne dépend pas uniquement du spectateur
mais également de son environnement.
Nous allons essayer de dégager les facteurs qui ont pu influencer et intervenir sur le goût des français à cette époque.

 

 

 

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[1] « La vie n’est qu’un système de systèmes », La méthode, tome 1 : la nature de la nature, Seuil, Paris, 1977
[2] Le Monde, «  La belle et le voleur », 14 octobre 1954, p : 12
[3] Le Monde, « L’île nue », n°5249, 1 décembre 1961, p : 1
[4] 1957, Godzilla
[5] Sadoul, «Le Japon » , Cahiers du cinéma, n°51, p :14, oct 1955
[6] Appellation de Max Tessier
[7] cf. annexes : « Tableau des trois périodes ». Pour y accéder dés maintenant, cliquer sur le lien :