Sonorité musicale

 

 

«Le cinéma est l’art le plus proche de la musique [1] »

 

La partie musique semble être traitée superficiellement et reste toujours assez vague :  deux lignes mélodiques en moyenne ou même rien du tout… il paraît très dur de décrire des sons venus d’ailleurs. Les critiques se contentent d’essayer de trouver la signification ou l’efficacité sonore par rapport aux images.

 

Sonorités japonaises

 

On retrouve essentiellement deux tendances :

- La musique accompagne, souligne un geste, une phrase, une action, une séquence pour en « sur-coder » le sens. C’est ce que Leonardo de la Fuente appelle le lyrisme à l’état pur [2].

- La musique peut tout en soutenant l’œuvre, introduire une durée psychologique[3] ou parachever une image par l’utilisation d’instruments non tempérés et universels [4].

La musique se substitue parfois entièrement à la parole, comme dans le film de Shindo. Trois critiques[5] se sont penchés sur ce cas, avec finalement la même conclusion : le thème principal de la partition de L’île nue, revient périodiquement comme un leitmotiv, imposant une progression qui accentue à chaque fois l’émotion. Elle participe ainsi à la création du rythme cyclique qui donne son tonus dramatique à l’action. 

Dans la famille des instruments utilisés dans les films japonais, les chroniqueurs parlent souvent de sonorités simplistes, sèches, et brèves qui s’identifient à des « à-coups »  soulignant une action, un geste, une tension. Il s’agit d’instruments à percussions dont les plus répandus sont le koto, le shamisen, le tambour et la flûte. Leur sonorité semble moderne pour une oreille occidentale, limitant les critiques quant à l’identification et la description de ces sons.

  • Sonorités occidentales

 

La musique n’est pas toujours d’origine japonaise ! L’influence occidentale joue quelquefois de sa partition dans le cinéma nippon. Kurosawa s’en inspire régulièrement, notamment  pour son film Rashômon qui reprend les musiques de Maurice Ravel et de De Falla. Ce n’est pas au goût de tous les critiques, peut-être dérangés par le contraste entre l’harmonie des instruments classiques et ces images exotiques empreintes de mœurs et de coutumes inhabituelles.


Aldo Tassone trouve dans cet emprunt une trop grande dissonance entre l’image et le son. C’est dans son analyse sur Kagemusha, qu’il note ce manque d’instruments traditionnels du [6], alors que les images sont fustigées par les violons, cymbales, trombones et harpes [7]


Un autre exemple, celui d’Ichikawa qui, pour son film La vengeance d’un acteur, n’hésite pas à utiliser « un jazz des plus jazz [8]» sur des situations fraîchement sorties de la tradition du Kabuki. Un mélange de genres qui a le mérite de surprendre. Max Tessier, lui,  y décèle une manière de faire du cinéma sans entrave, « au mépris de tout réalisme [9]» et l’on pourrait ajouter  « de toute cohérence » !. 

Sonorités sourdes

Quant à parler de la bande son elle-même, les critiques en font rarement l’objet de leurs réflexions. Le sonore n’est manifestement pas aussi accrocheur que le visuel. Moins primordial, plus discret, il est parfois sans richesse particulière. La beauté des images tient visiblement le rôle principal, et laisse dans l’hombre le second rôle à la musique  (ou peut -être est-ce la beauté des images qui nous fait oublier le son ?).


Un film a toutefois eu droit à quelques lignes sur l’utilisation du son. Il s’agit de nouveau de Kagemusha. Pour Tassone, le réalisateur a su offrir des stimulants à la fois visuels et sonores, notamment dans les courses folles des cavaliers et dans la vélocité des combats[10]. Tesson va plus loin, en démontrant que le son, toujours diégétique, est employé dans l’intention de montrer que l’action a bien lieu dans l’instant présent. [11] 
 
Le son est un domaine qui laisse plus que jamais les critiques indécis et perplexes. La retranscription écrite des sonorités n’a jamais été facile ; si transformer des « notes » en mots est un challenge, analyser la musique japonaise revient sans doute à essayer d’en comprendre la langue. Toutefois il n’est pas indispensable de décrire cette musique pour comprendre à quel point elle peut être importante dans la conception d’un film nippon. La musique à toujours accompagné les pièces de théâtre traditionnelles, en accentuant et en jouant sur le côté dramatique. Sa place paraît alors légitime, voire indispensable, dans une réalisation cinématographique. A cette occasion les critiques n’ont  pas manqué de rapprocher quelques œuvres à une partition musicale. Comme on l’a déjà vu, l’art de Ozu  surprend pour la lenteur du rythme de ses films. Mais c’est un rythme quasi musical où la place de chaque élément prend la teneur d’une note, capable de retranscrire au final une sorte de ballade. 


D’autres réalisateurs, comme Kinugasa, affirment eux-mêmes s’être inspirés de la musique afin d’élaborer une cinématique dynamique « pure » :

« le plan était comparé à une note,
le film à une partition et le tout,
à la projection,
à un concert. [12]»

Pour parler de L’impératrice yang kwei fei , Domarchi constate qu’il faudrait  « mobiliser tout un arsenal de comparaisons musicales [13] ». De cette proximité le film de Mizoguchi prend des airs de Mozart en raison d’une suavité de modulations sans pareille. L’année suivante, Douchet témoigne que « l’art de Mizoguchi est musical » par sa seule aptitude à tenir chaque plan comme le ferait un musicien pour tenir une note [14].
 

 

Sommaire

 


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[1] Domarchi, « Une inexorable douceur», cahiers du cinéma, n°98, aout 1959, p :56-58
[2] A propos de « Barberousse », Cinéma, n°229, jan 1978, p :100-101
[3] Chevallier à propos de la vie d’O’Haru femme galante , Image et son, n°80, mars 1955
[4] Gilson, à propos des Contes de la lune vague, Cinéma, n°36, mai 1959, p :98-100
[5] Potrel - Dorget dans la revue du cinéma, n°330, juil-aout 1978,p :142 ; Bretigny dans Image et son, n°149, mars 1962, p :38 et  dans Cinéma n°60, oct 1961, p :40-41
[6] Il s’agit ici du théâtre Nô,  dont l’orchestre est composé d'un grand tambourin (ô-tsuzumi), d'un petit tambourin (ko-tsuzumi), d'une flûte traversière (fue) et parfois d'un grand tambour (taiko).
[7] Cinéma, n°262, oct 1980, p :14-24
[8] Cros, Revue du cinéma, n°338, avril 1979, p :132-134
[9] Ecran, n°79, avril 1979, p :59
[10] Cinéma, n°262, oct 1980,p :14-24
[11] Cahiers du cinéma, n°317, nov 1980, p :48-50
[12] Tessier, à propos de Une page folle, Ecran , n°35,avril 1975,p :72-73
[13]« Une inexorable douceur »,Cahiers du cinéma, n°98,aout 1959, p :56-58
[14]« La connaissance totale » ,Cahiers du cinéma, n°114,dec 1960, p :55-57