Traduction des ouvrages

concernant les réalisateurs japonais

 

 

 

 

La renommée de Kurosawa atteint tous les continents, si bien que les études consacrées à ses films sont traduites dans de nombreuses langues. De la critique japonaise aux articles indiens [1], des livres anglais aux exposés américains, Kurosawa fait beaucoup parler de lui.

En 1970, Prédal à l’idée d’adapter une partie des critiques concernant les films de Kurosawa, rassemblées à l’origine par Rikiya Tayama [2]. Ce panorama rend compte d’un certain dénigrement de la part de la critique japonaise à propos des films reconnus comme des chefs d’œuvre en France, à commencer par Rashômon qui ne remporte pas les faveurs  des chroniqueurs. Il en va de même pour L’idiot, considéré comme la meilleure adaptation du roman de Dostoïevski aux yeux des français, celui- ci « se solde par un demi-échec [3]» pour les japonais, jugeant que la mise en image manque de réalisme. Les sept samouraïs subira le même affront, par le critique Tadao Sato, irrité par la mise en valeur des samouraïs face à l’asservissement bête et passif des paysans :

« La réflexion appartient seulement au monde des samouraïs qui vivent dans un univers sans commune mesure avec celui des paysans.[4]»

Kurosawa se retrouve partagé entre deux générations de critiques : l’ancienne qui continue à louer chacun de ses films, et la nouvelle qui s’en prend plutôt au contenu spirituel. Inversement en France, les jeunes critiques sont plus admiratifs que leurs aînés, moins réceptifs et moins attentifs à cet art « made in » kurosawa.   

Quand l’Américain Audie Bock assiste au tournage de Kagemusha, il met en avant les conditions draconiennes mises en place par le cinéaste. Ne tolérant que la perfection, les scènes sont répétées jusqu'à satiété. Bock explique que pour une séquence de deux minutes, il dirige les acteurs concernés en les faisant répéter « geste par geste, nuance par nuance, regard par regard [5]» au moins une vingtaine de fois ! Bock donne également des informations sur l’équipe technique, dont la co-production Coppola - Lucas. Des détails qui sont les moteurs de ce film, aidant par la suite les critiques français à parfaire leurs études.

 

 


 
Les textes en rapport avec Mizoguchi, ont le privilège d’être écrits à la première personne du singulier ou par des proches qui l’on côtoyé tout au long de sa carrière. C’est le cas du scénariste attitré de Mizoguchi, Yoda Yoshikata, dont les mémoires furent d’abord traduites dans les Cahiers du cinéma [6]à la fin des années 60, avant d’être éditées en 1997[7].

Lorsque Mizoguchi parle de lui, c’est en toute modestie qu’il raconte ce que le cinéma représente pour lui :

« Le modèle que je propose pour le cinéma japonais se base sur des réalités historiques
du Japon d’aujourd’hui
.[8] »

A l’image de ses films, le réalisateur se révèle discret, conscient de son art et des changements qui s’opèrent  autour de lui. Il reste serein et module son talent en fonction de ces bouleversements. Ces quelques lignes rédigées en 1941 à l’occasion des Quarante-sept rônins, trouvent écho en 1980, quand le film sort dans les salles françaises. La valeur du texte n’en souffre pas, mais cela montre les moyens précaires avec lesquels la critique doit composer. En ce qui concerne le cinéma japonais, la critique n’est plus une question d’interrogation mais de documentation. Des interviews plus actuelles seront mises en place comme on le verra plus tard, mais le retard pris par la France pénalise l’introspection des études filmiques.
 
 

 

Contrairement à Mizoguchi ou Kurosawa, aucun travail n’a été consacré à Ozu avant la fin des années 70. Quelques notes tout au plus, dont celles de Noël Burch [9],  mais rien n’a pu être fait avant la découverte de ses premiers films sur le territoire français. Devant « l’affolement » qui règne au sein de la rédaction, les critiques ont dû, comme dans les  années 50 et 60,  rechercher leurs informations dans des études réalisées à l’étranger.

En 1978,  Positif [10] , décide de réaliser un dossier entièrement consacré à Ozu. Pour cette occasion, Ciment traduit les propos de l’acteur Chishu Ryu, parus en 1964 dans la revue Sight and Sound. Fidèle interprète d’Ozu tout au long de sa carrière, il donne une idée très précise sur la façon dont celui-ci dirige ses acteurs. 

Un mois plus tard, c’est au tour des Cahiers du cinéma de publier, dans un même numéro, un extrait du livre de Sato Tadao[11], suivit d’un texte de l’Américain Paul Schrader [12]. Des textes traduits pour l’occasion, dont le premier fait surtout référence aux caractéristiques de la mise en scène du cinéaste, tandis que le second s’évertue à cerner l’écriture « Ozuenne » par rapport au phénomène Zen. (Deux analyses qui feront l’objet d’une étude ultérieure)

Deux ans plus tard, Ozu laisse encore la critique très indécise sur certaines méthodes, notamment  sur celles traitant  de la question du regard. Les personnages ont en effet la particularité de se parler en dirigeant leur regard dans une même direction. Une pratique qui se révèle être culturelle, selon l’historien du cinéma japonais Tadao Sato [13]. Ces textes révèlent à quel point la culture du pays est bien encrée dans les œuvres de Ozu. Les ignorer ou ne pas en tenir compte semble impossible, car comment comprendre ou analyser un film sans connaître l’origine des signes qui l’accompagnent.
 
 

 


 
La critique française a su cerner Oshima dès ses premiers films. Les messages étaient clairs et il n’a pas fallu longtemps pour cerner la personnalité de ce cinéaste. Les écrits qu’il rédige lui-même ne font que confirmer les thèmes et les fantasmes qui l’obsèdent et, à travers lui, ses personnages.
 
En 1971, Oshima écrit une série de cinq articles [14], exposant tour à tour, ses cinq préoccupations :

- La profession de metteur en scène
- Le crime
- La mort et l’amour
- La révolution
- L’Etat

Des obsessions qui appartiennent à sa propre personnalité, accumulées tout au long de sa vie. Réalisateur, il le devient par hasard. Le crime se révèle être le moteur de ses rêves. La mort, il la côtoie depuis son enfance et il cherche l’amour pour ces mêmes raisons. La révolution, il la trouve d’abord dans les livres de son père, avant de la traduire dans ses films, comme une lutte auprès du système politique de l’Etat.

Oshima fait beaucoup parler de lui pour ses élans contestataires. En réprimande, l’Etat ne manquera  pas de l’appeler sur le banc des tribunaux. L’accusant « d’obscénité » en vertu de l’article 175 du code pénal japonais, Oshima est poursuivi par le parquet pour son film L’empire des sens. Un procès qui a eu des échos jusque sur les terres françaises, le film étant produit en partie par Dauman[15]. L’intérêt qu’il suscite va jusqu'à la traduction des plaidoyers de Oshima, écrits au moment de l’affaire[16]. Dans ces textes, le cinéaste se discrédite en prônant la liberté sexuelle comme étant le véritable amour. Selon lui, ce concept non puritain de la sexualité n’appartient qu’à la classe dominante, influencée par les cultures étrangères (bouddhisme et chrétienne) pour lesquelles « la sexualité est une souillure morale qui doit être réprimée […] »

 


 
Ces textes servent de transition entre le cinéma japonais et la critique française.
Si leur traduction permet d’acquérir une plus grande connaissance concernant certains réalisateurs,
ils ont l’inconvénient d’être étrangers.
Les critiques peuvent lire ces études, mais celles-ci ne répondent pas à toutes leurs questions.

 

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[1] Voir le texte extrait du recueil d’articles et de conférences de Satyajit Ray publié sous le titre « our films, their films » à Calcutta, 1976, Orient Longman Limited Ed. , traduit dans Positif, n°225, dec 1979, p :30-32
[2] Critique indépendant collaborant en particulier à Kinema jumpo, Eiga Hyoron,  … Image et son, n°243, nov 1970, p :49-58

[3] ibid. p:53, extrait de Kinema Jumpo ( 1951)
[4] ibid. p :55, extrait de « Art moderne » (1958)
[5]« Kurosawa tourne Kagamusha », Cahiers du cinéma, n°310, avril 1980, p :11-17
[6]« Souvenirs sur Mizoguchi », Cahiers du cinéma, du n°166-167, mai-juin 1965, jusqu’ au n°206, nov 1968
[7]« souvenirs de Mizoguchi » Collection cahiers du cinéma, Paris, 1997
[8]« Genroku Chûsingura no Konpon Taido », Texte paru dans « Jidai Eiga » en septembre 1941, reproduit dans le catalogue de la Mostra de Venise, traduit dans Positif , nov 1980, n°236, p :26-27
[9] Cahiers du cinéma, n°189
[10] n°203, fev 1978, p :2- 27
[11]« L’art de Ozu Yasujiro », Japan Indépendant Film, 1966, traduit dans le n°286, mars 1978, p:18-19
[12]« Transcendantal style in film : Ozu, Bresson, Dreyer » University of California Press, 1972, ibid. p:20-29
[13] Voir l’explication, dans la troisième partie, VI ) la mise en scène, F) L’œil du cinéaste à travers celui de la caméra, Ozu. extrait d’un texte de Tadao Sato, « Le point de regard », Cahiers du cinéma, n°310, avril 1980, p :5-10
[14] Publié dans le journal « Asaki » du 12 au 16 avril 1971, traduit dans Positif dans le n°206, mai 1978, p :11-13 et le n°224, nov 1979, p :5-7
[15] Producteur français
[16]« Le drapeau de l’Eros flotte dans les cieux », Cahiers du cinéma, n°309, mars 1980, p :9-12