Les festivals
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« Révéler et (…) mettre en valeur des œuvres
de qualité en vue de servir l’évolution de l’art
cinématographique et (…) favoriser le développement
de l’industrie du film dans le monde »[1] |
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Au début des années 50, le Japon est tout juste remis des secousses de la seconde guerre mondiale et la domination américaine pèse encore lourdement sur les écrans de cinéma.
La production cinématographique se retrouve plus que jamais boudée par les distributeurs étrangers ; les grands studios ne possèdent aucune politique exportatrice et n’ont pour seul recours, que l’intermédiaire des festivals.
« Par principe, un film japonais n’a pratiquement aucune chance "d’exister" en France
(en Occident) s’il n’a pas été présenté dans un festival important, et mieux encore, primé.»[2]
C’est ainsi que Cannes, Venise, Berlin…deviennent les centres d’audition pour le cinéma japonais. L’endroit se veut stratégique, truffé de critiques, d’historiens et de cinéphiles; les films pourront en une seule projection faire le tour du monde. Comme le souligne De Baecque, « la critique a fait les beaux jours du festival (et inversement), surtout au milieu des années soixante … elle impose le goût, montre les films, donne le ton [3] . »
Si la projection d’un film passe avant tout par les yeux des spectateurs, elle se poursuit dans la plume des critiques. Ils viennent, ils regardent, ils jugent, ils comparent, ils écrivent et permettent ainsi aux films de sortir de l’univers festivalier pour s‘aventurer dans les salles obscures d’arts et essais.
Le caractère international de ces salles de spectacles joua toutefois quelques mauvais tours diplomatiques au cinéma nippon. En 1954, par exemple, la projection des Enfants d’Hiroshima a failli être annulée à la demande expresse des Américains, retardant ainsi la découverte du premier « gendai-geki» en France.
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Pour la critique, les années 50 correspondent à une période très riche en découvertes ; après un « embargo » de presque cinq ans sur la plupart des productions étrangères, les cinéphiles ne s’attendent pas à une croisade japonaise. Des films qui font une entrée remarquée, en raison de leur singularité, de leur splendeur plastique ou encore de leurs histoires reliées intimement à leurs coutumes ancestrales.
Une découverte dans laquelle chroniqueurs et jury s’accorderont à attribuer récompenses festivalières et éloges critiques jusqu’au milieu des années 50, pour la qualité exceptionnelle et inédite de ces films. Lors de sa première apparition au festival de Venise en 1951, Lo Duca écrira :
« Certes nous avons vu des films. Mais si nous nous en tenons à l’essentiel, nous n’avons vu que Rashômon,le film japonais qui ne pouvait pas ne pas avoir le Lion de saint-Marc, après l’unanimité des plus grands réalisateurs et des meilleures critiques (sans oublier le public). [4] »
Après le film de Kurosawa, les prochaines sélections sont attendues avec impatience ; on espère ainsi savoir si ce film constitue une exception parmi les films nippons, ou s’il est un exemple spécifique de la production nationale. En attendant, la critique se félicite que ce nouveau cinéma reçoive enfin des récompenses. Pour les Cahiers du cinéma ce n’est que justice si Les contes de la lune vague est cité en premier au palmarès de Venise en 1953, face à Antonioni et Poudovkine ; il reste en effet « un des films les plus excitants pour l’esprit de tous ceux que nous vîmes, et nous l’avons reçu avec un plaisir en harmonie avec son titre ravissant.»[5]
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Suite à cette phase d’effervescence, les critiques prennent conscience que la sélection à tendance à être "truquée" ; la fin des années 50 devient alors une remise en question du cinéma japonais. Un "ras le bol" des films dits d’exportation se fait alors sentir ; les critiques veulent découvrir le vrai visage de la production nippone et souhaitent le débarrasser de ses samouraïs impétueux et de ses geishas aux grands cœurs. Sadoul écrira à ce propos que si le Japon ne s’est pas démarqué à Venise en 1955, il le doit uniquement à son obstination à présenter ses poussiéreuses armures :
« L’effet de surprise est passé. Nous sommes gavés de moyen âge »[6] .
Face à certaines récompenses les critiques deviennent de plus en plus sceptiques ; en 1954 lorsque La porte de l’enfer, ( tourné pour les Européens selon la critique japonaise) se voit attribuer le grand prix de Cannes, ils se demanderont « si ce conformisme moral n’avait pas, pour le jury de Cannes, quelque chose de rassurant. [7]» De même pour beaucoup d’entre eux Le pousse-pousse ne méritait pas l’honneur du Lion de Saint Marc en 1958, et Doniol-Valcroze, sûrement le plus perplexe, admettra que « seule une impasse diplomatique au sein du jury peut expliquer un choix aussi déconcertant. »[8]
Des injustices qui au fil des années sont de plus en plus récusables pour les critiques, frustrés que certains films ne soient pas récompensés face à d’autres de moindre valeur. C’est le cas du Cache-cache pastoral de Terayama qui avait toutes les qualités pour obtenir le prix à Cannes en 1975, tandis que le Lion d’or de Venise aurait dû revenir, selon Raymond Borde, « à l’austère Narayama, plutôt qu’au pousse-pousse sénile. [9] »Cela montre pour Doniol-Valcroze que « c’est encore une absurdité des festivals de ne récompenser, en fait de films japonais, que les plus commerciaux pour l’Europe, c’est à dire ceux qui précisément sont fabriqués pour l’exportation, donc impurs. »[10] Les réalisateurs traitant des sujets contemporains comme Ozu, Naruse ou Shindo en sont les témoins ; s’ils ne sont pas exclus de toutes exportations comme Ozu, ils ne peuvent être qu’ « injustement absents du palmarès »[11] comme Les enfants d’Hiroshima en 1953.
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Le festival c’est aussi une course à la recherche du réalisateur qui saura conquérir l’occident et entrer dans l’histoire du cinéma, comme celui qui fut découvert dans l’un d’entre eux. Ici, c’est surtout une lutte entre Cannes et Venise qui s’apparente au célèbre face à face des Cahiers du cinéma contre Positif . C’est ainsi que Kinugasa devient le porte- parole du cinéma japonais au festival de Cannes en 1954 ( La porte de l’enfer ) et 1959 ( Le héron blanc ) ; dans le même temps, Mizoguchi monte sur le podium de Venise trois années consécutives de 1952 à 1954 avec dans l’ordre : La vie d’O’haru femme galante, Les contes de la lune vague et L’intendant Sansho. Chacun peut se targuer d’avoir son représentant attitré, mais en fin de compte, le festival de Venise aura plus contribué à la découverte du cinéma japonais que Cannes : ( Kurosawa détient cinq participations à Venise contre deux à Cannes et Mizoguchi, en obtient trois à Venise et seulement une à Cannes)
Pour ces deux Festivals phares du cinéma japonais, le nombre de participations est impressionnant. Depuis le succès de Rashômon, avec toutefois un passage à vide dans les années 60, le Japon envoie régulièrement un lot de « japonaiseries » pour les festivals. Sur les 25 films diffusés en France dans les années cinquante, 19 ont participé à un festival européen [12] et 11 ont été récompensés. Ce chiffre donne une idée de l’efficacité et de la notoriété des films japonais au sein de ces cérémonies festivalières.
D’autres festivals, beaucoup moins importants dans les retombées économiques, ont su jouer leurs atouts. Plus discrets, ils « agrippent » le cinéma japonais par une autre face, celle de la modernité. Pour n’en citer qu’un au hasard, le festival d’Avignon, en 1969, programme une douzaine de films qui selon Veillot
« n’apportent plus l’exotisme pittoresque des anciens films sabres, avec leurs samouraïs médiévaux. Ils découvrent au contraire les Japonais d’aujourd’hui, en mini-jupe ou en complet-veston, avec leurs problèmes, leurs obsessions, leurs révoltes . »[13]
Début d’une nouvelle vague qui va nous faire découvrir un Japon plus contemporain.
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Si les festivals ont le défaut de ne faire participer qu’une élite cinématographique au détriment des autres films, il faut reconnaître leur contribution dans l’histoire du cinéma. Grâce au circuit extra-commercial, la réussite du film n’est plus dépendante du nombre d’entrées, mais de critères artistiques.Cannes et Venise ont régulièrement servi de « ponts européens », entre les producteurs japonais et les distributeurs français.Toutefois un film diffusé dans ce genre d’évènement ne permet pas une approche assez efficace pour un critique. Face à un « nouveau né » on ne sait quelle opinion choisir, spécialement quand on ne sait presque rien de sa mère porteuse ! Les critiques qui en découlent, sont une première approche, une sorte de présentation, « quelques mots très incomplets sur le film…dont on reparlera lors de sa sortie en salle. » [14]
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[1] T. Sotinel, Le monde, mai 2000
[2] Max TESSIER, le cinéma japonais, une introduction, Nathan Université, 1999
[3] Antoine De Baecque, préface n° spécial cahiers du cinéma, « Histoires de Cannes », avril 1997
[4] Lo Duca, « Venise ou le cinéma au fil de l’eau », cahiers du cinéma, n°6, novembre 1951, p :33-35
[5]« contes de fées »,cahiers du cinéma, n° 27, octobre 1953, p :6-7
[6]Sadoul, « Le Japon », cahiers du cinéma, n°51, octobre 1955, p :14
[7]Raymond Borde, « La porte de l’enfer », Image et son, n°165-166, sept-oct 1963, p :163-166
[8]Doniol-Valcroze, cahiers du cinéma, n°88, octobre 1958, p :40
[9]« La porte de l'enfer » Image et son, n°165-166, spet-oct 1963, p:163-166
[10] Truffaut, « la légende de Narayama », cahiers du cinéma, n°88, octobre 1958, p : 42-43
[11] Doniol-Valcroze, « Les enfants d’Hiroshima », cahiers du cinéma, n°34, avril 1954, p : 61-63
[12] Ces chiffres comprennent les films en compétition et hors compétition.
[13] Claude Veillot, l’express, octobre 1969 , repris dans la revue du cinéma, n°331 bis, 1978
[14] Bernard Boland, à propos de « l’empire de la passion », cahiers du cinéma, n° 290-291, juill-aout1978 ,p :24