Selon Curtis Harrington [4] l’assistance et la supervision de l’occupation américaine n’ont rien changé. Hollywood n’a exercé aucune influence sur les productions nippones pour la simple raison que ce cinéma possédait déjà une riche et brillante tradition, capable de rivaliser avec les autres pays. Si le S.C.A.P [5] n’a jamais adressé de directives à l’industrie cinématographique, les scénarios ont tout de même été soumis à une censure stricte. Celle-ci a imposé, par exemple, une scène de baiser comme point culminant d’un film. Jugeant les productions souvent trop respectueuses et cérémonielles, les Américains ont introduit des normes culturelles propres à leur grammaire cinématographique. D’autres traces « hollywoodiennes », vont être adoptées par les cinéastes, n’hésitant pas à mêler le « spécifiquement japonais » au système occidental.
Ce compromis, selon Noël Burch [6], se retrouve tout particulièrement dans l’œuvre des maîtres ou semi-maîtres d’avant-guerre qui poursuivaient toujours leur carrière cinématographique. Mizoguchi adopta une « approche opportuniste et conventionnellement décorative du découpage, consistant à coller certains traits de son système antérieur sur l’armature des codes de Hollywood [7]. » Ozu lui-même connut une certaine progression dans sa réalisation. L’utilisation des pillow-shots « se font brefs, simples transitions poétiques sans rien de radicalement suspensif, ni de l’élaboration structurelle complexe des films antérieurs [8]. »
Le comité de censure supervisait toute la production, du stade préliminaire jusqu’à la distribution. Son rôle s’est terminé à la fin de l’occupation en 1952. Rashomon, réalisé en 1950, est par conséquent un produit supervisé et contrôlé par les Américains. D’autre part cette censure interdisait tous les sujets traitant d’Hiroshima, de Nagasaki et bien sûr des conséquences de ces catastrophes. En d’autres termes, les Japonais ne devaient pas réaliser des films traitant du quotidien et de la réalité qu’ils étaient en train de vivre…
Ce contrôle « scénaristique» et idéologique avait pour but de redonner du mordant à l’économie nippone. En effet, il est souhaitable que le Japon, après avoir subi le déshonneur de la défaite, doive mettre toute son ardeur à se réhabiliter au regard de l’univers et à s’affirmer comme une civilisation exemplaire, mais cette fois sans utiliser la force militaire. Il attache alors un prix exceptionnel à se faire connaître à l’étranger, à gagner la sympathie et l’admiration des autres nations. C’est pourquoi le choix de Rashomon était si périlleux : l’échec pouvait faire reculer ces efforts, voire les briser. Le président de la Daiei s’est opposé lui-même au choix de Rashomon redoutant:
« l’échec, l’humiliation qui en découlerait ; par dessus tout, il n’avait aucune confiance dans un film que l’on n’avait pas spécialement produit pour l’exportation. »