Poésie et beauté...

 

Le cinéma japonais s’apparente à un grand recueil de poésies. Dès les premiers films, les critiques sont en émoi, gracieusement dérangés par un plaisir des yeux inattendu. Le registre lyrique devient vite un thème traditionnel qui accompagne tout le film

Poésie des raccords, univers poétique, poèmes visuels ( paysages, décors,…) ou thématiques ( politique, guerre, adolescence, amour, mort, rêve, famille…). L’enthousiasme s’organise autour de quelques films assurément plus marqués par une beauté radieuse, alors que d’autres ne dévoilent qu’un coin de paradis poétique aux yeux de quelques rares critiques. Comme chacun le sait, la beauté et l’émotion sont des notions personnelles, elles font partie de ces histoires de cœur qui n’appartiennent qu’à soi.

 

Quelques exemples de « coups de cœurs » des critiques relevés dans toutes les revues, à des époques diverses :

 

La femme des sables : «L’un des plus beaux poèmes de l’écran [1] »

L’empire de la passion : « Rarement poésie - la poésie cosmique celle qui assemble l’homme aux éléments, lie la vie et la mort - n’a été aussi présente sur un écran. [2]»

L’île nue : « Ce film est beau : il est même l’un des plus beaux que le cinéma nous ait donné depuis longtemps, mais a une beauté pudique, un peu comme un poème du ciel et de la mer,  de la peine extrême et des joies minuscules, de la familiarité sensibled’hommes en femmes profondément reconnus dès l’abord .[3] »

Vingt quatre prunelles : «Le film est ainsi fait d’émotions fugitives et timides, et d’une extrême délicatesse… sensibilité caressante…poésie fraîche et fragile, …proche de la mélancolie chantante…une poésie quotidienne…une poésie de la réalité décantée par le temps.[4] »

Dersou ouzala : « Cette très originale épopée cosmique, d’un lyrisme tout intérieur, est sans doute le plus authentique poème-essai écologique des temps modernes.[5] »
 

"Dersou ouzala" Akira Kurosawa 1975

 

Il y a aussi les poètes assidus, ceux qui retransmettent dans toutes leurs œuvres, des images d’une élégance remarquable et sans pareille. Cette régularité se rencontre surtout chez Ozu et Mizoguchi, très souvent ovationnés par des superlatifs élégiaques et des références lyriques.

Ozu, c’est l’émotion dans l’instant présent, sans aucun artifice, il ne la recherche pas,  il la donne à voir. Niogret déclare :


Ozu « ne recherche jamais l’effet d’émotion en dramatisant, ou en accélérant le rythme, en augmentant la tension, en utilisant l’emphase : il n’utilise jamais aucun moyen qui ne soit pas issu naturellement du contexte humain.[6] » 

Les envolées lyriques au sujet des films de Mizoguchi, sont abondantes. Chez lui, la beauté est présente partout, dans les moindres pores, les plus petites cellules, ses films transpirent de sensibilité délicate et onirique. Beauté omniprésente dans les détails, les gestes, l’univers, les personnages,… Beauté aux connotations multiples…

 

« Beauté absolue[7] » des Amants crucifiés

« splendeur plastique [8]» de L’intendant Sansho

« beauté par la magie d’une caméra [9]» du Héros sacrilège…

 

 

Pour certain, c’est La rue de la honte, qui est « la cerise sur le gâteau », car « la beauté sensible …n’est pas dans la vision ou la représentation, elle prend racine dans les êtres et les choses en eux mêmes [ ...][10] »

Mais pour beaucoup, rien n’a encore égalé Les contes de la lune vague, le film qui a demandé aux critiques le plus d’imagination dans le registre poétique. L’avis d’Allombert est sûrement un des plus enthousiastes : 

« Une œuvre aussi étonnante, où le réalisme le plus violent se mêle à la poésie la plus lyrique… Rarement créateur cinématographique a su créer …monde plus réel avec les images les plus poétiques que l’écran nous ait offertes…Splendeur plastique continue des images et la création d’un univers étonnant où le fantastique atteint la poésie pure, éthérée, où les sentiments sublimés paraissent toucher à la perfection formelle.[11] »

En résumer, Mizoguchi est pressenti comme le créateur d’une nouvelle ère poétique

 

"les contes de la lune vague aprés la pluie" Kenji Mizoguchi 1953

 

Pour conclure,
la cinématographie japonaise semblerait être, aux yeux des critiques,
une grande séductrice au cœur fragile, aux allures charmantes,
aux ondulations délicates et à la sensibilité émouvante.

 




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[1] Jacob, Cinéma, n°92, jan 1965, p :110-111
[2] Zimmer, Revue du cinéma, n°331, sept 1978, p :142
[3] Bretigny, Image et son, n°149,mars 1962, p :38
[4] Macabru, « Respiration de l’innocence », Cahiers du cinéma, n°106, avr 1960, p :161-162
[5] Tassone, Cinéma, n°216, dec 1976, p :108-110
[6] Niogret, « Introducing: Yasujiro Ozu», Positif, n°203, fev 1978, p :3-12
[7] Fargier, Cahiers du cinéma, n°290-291, juil-aout 1978, p:45-47
[8] Tailleur, Positif, n°37, jan 1961, p:53-54
[9]  Martin, à propos du  Héros sacrilège , Cinéma, n°58, juil 1961, p :112
[10]  Magny, Cinéma, n°262,oct 1980, p:44-49
[11] Image et son, n°125, nov 1959, p :16