D’autre part l’histoire du cinéma a tendance à insister considérablement sur le caractère originel de ce film en Europe. C’est faire abstraction des tentatives, souvent réduites à l’échec ou à l’indifférence, des films qui l’ont précédé. Contrairement aux apparences, les liens cinématographiques entre la France et le Japon ont commencé en 1908 avec deux films produits pour PATHE et tournés à Tokyo : Le Châtiment du Samouraï et La Vengeance du Daimo. Les années 20 sont les plus florissantes pour la coproduction franco-japonaise. C’est précisément la période où le cinéma japonais connaît ses heures de gloire auprès du public français qui sait en apprécier la grande qualité. Le grand tremblement de terre de 1923 provoqua une émotion forte en France et les Français exprimèrent leur profonde solidarité avec le peuple japonais en organisant des collectes pour les victimes et les sans-abri. La même année, les films L’Enfant de Hoang-Ho et La Bataille des studios Delac - Vendal sortent sur les écrans, avec en vedette dans ce dernier film, Hayakawa Sessue et Aoki Tsuru. Ces deux films ont été tournés en France pour suppléer aux studios japonais, anéantis par le tremblement de terre. En 1924, Mappemonde Film sort Le Prince d’Orient, Le Roi sans couronne et J’ai tué [8] .
D’autres films s’enchaînèrent de façon épisodique, tous sélectionnés au préalable par les maisons de productions japonaises, selon des prédispositions filmiques à l’exportation bien définies. C’est ainsi qu’en 1936, le film de Kumagaï, Takoubokou, est envoyé à l’étranger pour ses vertus d’imitation à l’encontre des œuvres américaines et soviétiques. Les Japonais, assurés que leurs films ne pouvaient séduire les Occidentaux pour des raisons culturelles, persistaient à envoyer des œuvres qui imitaient fidèlement les productions étrangères.
Quelques années plus tard, les Japonais s’aventurent enfin dans un nouveau genre d’exportation, plus fidèle à l’esprit national nippon, mais en jouant largement sur la carte de l’exotisme. La première tentative après la guerre, remonte à 1951. Présenté à Paris au Cinéma d’Essai, le film de série de Eizuke Takizawa, Le bandit samouraï, réalisé en 1937, fut un échec retentissant. Face à cet insuccès, la Daiei a dû faire le choix de présenter un film de meilleure qualité, qui ne soit pas simplement basé sur l’exotisme et l’histoire. Comme on le verra plus tard, les critiques ne se sont pas laissés aveugler par « l’emballage » du film !!
Rashômon est, par conséquent, le second film envoyé dans un festival européen après la guerre et l’énième film japonais envoyé en France. Mais là encore, c’est l’accumulation de plusieurs difficultés d’ordre budgétaire qui va laisser la voie libre au film. En 1951, la France invite le Japon à participer au festival de Cannes.Le film de Tadashi Imai, Jusqu’à ce que nous nous rencontrions de nouveau, est choisi, mais pour des raisons financières (la Toho ne pouvait établir une copie sous-titrée française), ce fut finalement un court métrage qui fut envoyé à Cannes. A l’occasion du festival de Venise, l’invitation est réitérée, mais une fois de plus des problèmes financiers limitent considérablement le choix des films. Rashomon est alors choisi selon la stratégie de l’époque, plutôt économique qu’idéologique.