Un remontage occidentalisé

 

 

Il est assez fréquent de modifier le montage d’un film japonais. Producteurs ou distributeurs coupent certaines scènes pour rendre les films plus « occidentaux », donc plus courts et plus « dynamiques ».La méthode consiste à supprimer ce qui est jugé « superflu » ; en d’autres termes toute l’attention que le cinéaste porte à certains détails précis ou certaines scènes dépourvues d’action.

Si la richesse de ces détails peut impressionner le spectateur moyen, les critiques eux en raffolent et en redemandent comme un gage de qualité. Ils possèdent une richesse symbolique et discursive propre à un auteur de cinéma.

Faute de plaire aux critiques, les distributeurs adaptent les films dans l’espoir de les faire rentrer dans le moule des normes temporelles propre au cinéma de l' Ouest. Au final, le film devient le fruit d’un mariage entre deux cultures.

 

"Les 7 samouraïs" de Akira Kurosawa 1954 www.cineasie.com/Les7Samourais.html.

Un cinéaste-auteur défend le droit de pouvoir contrôler son film jusqu’au bout, même si celui-ci doit être exporté à l’étranger. C’est pourquoi un réalisateur comme Kurosawa proteste vivement contre le fait que son film Dersou Ouzala puisse être amputé de 15 à 20minutes dans les copies destinées à la France et l’Italie. Quant aux sept samouraïs, il fut d’abord exploité en 1955 dans une version tronquée d’1 heure 45 :

« Le distributeur de l’époque (« Cinédis ») avait naturellement coupé, avec la bénédiction tacite de la Toho productrice, l’essentiel des séquences psychologiques et sociales qui étayaient tout le film, et se trouvaient surtout concentrées dans la première partie, c’est à dire tout ce qui n’était pas de pure-action [1]

Lors de la présentation de La condition humaine, au festival de Venise, Sadoul avoue que si le film devait être un jour exploité en France, « il y aurait intérêt, pour qu’il atteigne un plus large public, à l’amputer d’une bonne heure de projection. » Il va même jusqu’à proposer les scènes inexploitables : «  Tout ce qui touche à un vol de farine, et aux rapports de Kaji avec le jeune Chinois Chen a été, pour le public européen, trop développé et ralentit inutilement l’action [2]

 

 

Il y a deux temps au cinéma, celui de l’action et celui de la contemplation.

 

Très peu exploitée en Europe ou aux Etats-Unis, la seconde temporalité fait visiblement partie de la culture nippone.Tout ce qui a trait à la cérémonie, aux courbettes à ras de terre, aux gestes méticuleux et sereins,… donne une impression de lenteur, allant parfois jusqu’à la lassitude pour le spectateur occidental.

Lorsque les films japonais sont jugés trop longs, c’est uniquement sur des critères de normes hollywoodiennes qui tiennent compte de la capacité d’attention moyenne des spectateurs. Paradoxalement, cela voudrait dire que leurs homologues japonais seraient capables de passer plus de temps devant une fiction. !… Cette philosophie du temps pourrait certainement être rapprochée du concept Zen. Cette façon d’être, ou plus exactement cette religion d’être, de percevoir, d’agir, de créer, reste propre aux pays asiatiques.



Ce « remixage » plus ou moins culturel
joue rarement en la faveur des productions nippones,
rendant les films encore plus illisibles,
les distributeurs « déracinent » le cinéma japonais.
Une mutilation qui a des airs de censure.



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[1] Tessier, Revue du cinéma, n°355, novembre 1980, p : 53-55
[2] Lettres françaises, « A la fois opprimé et oppresseur », n°840,  p : 6