Spiritualité et religion

 

 
Brassage religieux, zapping spirituel,... La France accueille en son sein différentes religions issues d’horizon plus ou moins lointains. Au christianisme traditionnel qui regroupe catholiques et protestants, se joignent  aussi l’islam, le judaïsme et le bouddhisme. Si certaines restent dans un cadre très hermétique, ne touchant qu’une communauté issue du pays pratiquant, elles ne sont pas pour autant ignorées du reste de la société. D’autre part,  ces religions peuvent parfois faire l’objet d’un intérêt croissant auprès de personnes en quête d’exotisme ou de nouvelles formes de spiritualité.

Pour ces deux instances, une image « spirituelle » se met en  place de façon directe ou indirecte. Un mouvement religieux peut prendre de l’ampleur de différentes manières : soit par l’accroissement du  nombre de ses pratiquants, soit en se faisant connaître et apprécier pour les concepts qu’il propose. Ceux-ci vont générer une nouvelle façon de penser, de croire et de vivre en influençant surtout les comportements intellectuels.

L’exemple le plus marquant et le plus visible reste le mouvement bouddhique qui va bénéficier d’un fort courant de sympathie pour les valeurs qu’il véhicule. (tolérance, spiritualité, non-violence…). Un rappel historique de ce courant permettra de prendre conscience de son influence auprès de certains Français.

 

 

Le bouddhisme en France

 

Les Européens connaissent la philosophie bouddhique depuis le 19ème siècle. L’image de cette religion passe alors essentiellement par des livres d’explorateurs et quelques traductions relativement fidèles d’écrits bouddhiques. Schopenhauer fut l’un des plus fervents militants de cette science, influençant de nombreux écrivains comme Céline, Proust, Kafka… C’est d’ailleurs en Allemagne que s’ouvre la première société bouddhiste en Europe. Il faudra attendre 1929 pour que la France accueille la première société des amis du bouddhisme, mais ce n’est qu’entre les deux guerres que ce mouvement religieux initie des adeptes souvent issus de milieux artistiques et intellectuels.

C’est après les années 60, et essentiellement dans les années 70 que le Zen connaît  un formidable engouement. Un des livres les plus consultés à cette époque, « Le bouddhisme Zen », de Watts, touche beaucoup les lecteurs pour le caractère individualiste et libertaire de cette religion. Un principe cultivé par ceux qui contestent et remettent en cause les valeurs modernes de la société

La « beat génération » en est le précurseur, puis le mouvement contestataire des étudiants en mai 68 qui se tourne vers l’Orient pour lui emprunter ses valeurs spirituelles d’expérience interne. Ces jeunes recherchent également la réalisation de soi en se tournant vers la méditation qui leur permet d’accéder à un autre état de conscience. Cette nouvelle orientation religieuse va petit à petit se diffuser dans les couches moyennes et supérieures avec la crise économique de 70. On assiste alors à une grande vague du bouddhisme, menée par le moine Zen Taisen Deshimaru qui fonde la première Association Zen Internationale en 1970 et le premier dôjô en 1972. A peine cinq ans plus tard, plus de 50 dôjôs sont implantés dans toute l’Europe. La France devient le pays européen où l’implantation du bouddhisme est la plus importante et la plus fulgurante. ( De 1976 et 1986, elle passe de 200 000 à 400 000 adhérents.)

 

Ce rapide historique met en évidence le contexte de l’époque qui a favorisé  l’engouement pour la philosophie Zen, au moment ou l’on découvre les premières œuvres de Ozu [1]. Le zen et sa posture du zazen [2] sont devenus en peu de temps une sorte de nouvelle religion qui tend vers un nouveau mode de penser et une autre vision du monde. Ce courant est devenu une des japonaiseries majeures ; les samouraïs et les geishas n’étant plus vraiment d’actualité. Dans les années 70, penser au Japon, c’est penser au Zen, et par déduction voir un film japonais c’est voir un film zen. Un schéma bien sûr caricatural mais qui s’aligne dans une logique contextuelle.

Preuve de cet engouement et de cette passion, un certain nombre de cinéastes, jusque là vierges de toutes corrélations avec un quelconque esprit zen, voient leur film servir cette philosophie. Pour ne citer que les principaux : 

Mizoguchi va revêtir les habits d’un maître zen aux yeux de Weyergans, pour avoir atteint une quête spirituelle lucide de la vérité du regard et une vision intérieure [3] similaire au Zen.

Devant la maîtrise et la patience de Kurosawa en plein tournage, il est difficile pour Magny de ne pas penser à l’ascèse demandée au tireur à l’arc japonais empreint de l’esprit zen [4]. La lucidité de Kurosawa, son détachement et  la supériorité de son état de conscience sont dignes des adeptes du Zen[5]…. avec en prime de superbes plans fixes dépouillés qui font penser à un tableau Zen [6] dans son film Kagemusha.

Quant à L’empire des sens de Oshima, il est extraordinairement japonais par la coïncidence du vrai et du poétique qu’exige le bouddhisme ésotérique[7].

 

 

Ces quelques exemples non exhaustifs,
illustrent ce sentiment et ce besoin de rapprocher les découvertes culturelles nippones
des représentations cinématographiques de ce pays. 
Si dans le cas du cinéaste Ozu la similitude avec l’esprit Zen fut de nombreuses fois constatée,
cela ne signifie pas qu’il y ait eu une adhésion massive des réalisateurs japonais à la philosophie Zen,
et encore moins une influence directe.
Comme on l’a déjà vu, la majorité des critiques ne sont pas des experts en culture japonaise ;
ils se basent donc le plus souvent sur les découvertes et sur les mouvements culturels à la mode qui persistent en Europe.

 

 

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[1] Cf. la troisième partie consacrée aux rapprochements entre Ozu et le Zen.

[2] Zazen est la posture d’éveil qui s’est transmise du Bouddha Shakyamuni (500  ans avant J.C.) jusqu’à nos jours. Par la pratique de zazen, on apprend à se connaître soi même, à dépasser les contradictions et à retrouver ainsi une manière d’être plus naturelle et plus harmonieuse.  
[3] Cahiers du cinéma, n°120, 1961, p: 45
[4] Cinéma, n° 262, octobre 1980, p: 24
[5]Sineux, Positif, « éloge de la folie », n°165, février 1975, p: 10
[6] C-M Trémois, Télérama, n°1603, 1 octobre 1980, p: 112
[7] Positif n°206, 1978, p: 2