Des titres métamorphosés

 

Il est assez fréquent de trouver deux ou trois titres par film. Tadao Sato, dans son livre, « le cinéma japonais », a dû rajouter un index pour des films connus sous un titre différent.

Alors qu’au Japon les titres des films, très imagés, puisent dans la poésie leur pouvoir d’évocation [1], les distributeurs recherchent une traduction moins symbolique, moins romantique et beaucoup plus occidentalisée, simplifiée en fonction d’une thématique cohérente. L’intérêt est de trouver un titre accrocheur en rapport avec le sujet du film.

Si Ichikawa voit son film Ototo ( le frère ) bizarrement traduit par Tendre et folle adolescence à l’occasion du festival de Cannes en 1961[2], Kurosawa découvre son film Entre le ciel et l’enfer exploité au tout début sous le titre  Anatomie d’un enlèvement pour des raisons commerciales[3].

Il arrive aussi que les titres évoluent au cours du temps, selon les intérêts des producteurs ou des distributeurs. Un phénomène très symptomatique dans le cas du cinéma japonais :

- A Berlin, c’est sous le titre Le serment d’obéissance que Imai remporte son Lion d’or en 1963, mais il est actuellement connu sous le nom de : Les contes cruels du Bushido. 

- Comment s’y retrouver lorsqu’on sait qu’en 1957, un spectateur français peut aller voir en salle Les bateaux de l’enfer et sept ans plus tard, à l’occasion d’une rétrospective à la cinémathèque, revoir le même film intitulé cette fois, Les pêcheurs de crabes !

- Un titre comme Filles et gangsters devient plus vendeur qu’un Cochon et cuirassé !

- Quant au film de Ozu, Samma no aji, littéralement « Le goût du poisson d’automne » est transformé en Le goût du saké, pour des raisons d’élégance littéraire, selon Max Tessier.[4]

Affiche "le gout du saké" Ozu 1962 www.cineasie.com/Yasujiro_Ozu.htm.

Des titres sont pré- fabriqués dans un souci commercial évident, mais certains peuvent se révéler trompeurs, comme L’empire de la passion choisit par le distributeur simplement pour faire le lien avec le précédent film d’Oshima, L’empire des sens ; mais ce choix se révèlera totalement inapproprié, le second film n’ayant rien de commun avec le précédent [5]

Affiche "l'empire de la passion" Oshima 1978 http://www.cinaff.com/affiche_l-empire-de-la-passion_3191.htmAffiche "l'empire des sens" Oshima 1976 www.interinfo.co.jp/year1970.htm.

Un autre exemple, le film de Mizoguchi Akasen Chitai , littéralement « la cité rouge », exporté en France sous le titre La rue de la honte, ne traduit pas l’intention du cinéaste qui, selon Joël Magny, n’a pas voulu décrire la prostitution comme une activité honteuse mais plutôt nécessaire.[6]

Dans la majorité des cas, les titres donnent le ton du film. A partir des quelques exemples cités précédemment, il apparaît que, dans un premier temps, les titres expriment le caractère sauvage, intègre et violent  qui semble correspondre à l’idée que se font les Occidentaux du peuple japonais, suite aux évènements de la seconde guerre mondiale. La transition entre Bateaux de l’enfer  et  Pécheurs de crabes, atteste à l’évidence d’un changement idéologique des Européens envers le peuple nippon. De même quand le film Cochon et cuirassé  devient  Filles et gangsters. Dans les deux cas, les titres deviennent moins virulents, moins agressifs et tape-à-l’œil, pour s’orienter vers la tranquillité, la sérénité voire l’ idyllique. Les distributeurs troquent des « hommes-porcs » sans merci contre des  jouvencelles et des brigands. Les termes se font moins hargneux au fur et à mesure que le Japon se révèle être un pays culturellement très raffiné, aux coutumes subtiles et à l’aura souvent légendaire

 

Si le titre ne peut sembler qu’un détail parmi la multitude de phrases à traduire,
il a une réelle importance si l’on considère qu’il est le premier élément du film à interpeller le spectateur.

 

 

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[1] Mélanie RICARD « le cinéma japonais, images du soleil levant »
[2] Cinéma, n°57,juin 1961,p10-11
[3] Le titre devait évoquer le genre de film noir américain
[4] Tessier, Ecran, n°75, décembre 1978, p :56-58
[5] Tessier, Ecran n°75, decembre 1978, p: 61-64 (le titre original « Ai no Borei » peut se traduire par « Fantôme d'amour ».)
[6] Magny, Cinéma, n°262, octobre 1980, p: 44-49