Les représentations théâtrales japonaises
en France

 

Un art théâtral, très particulier, qui connut quelques représentations en Europe, mais qui, à aucun moment, n’a vraiment séduit la population. Difficile d’accès,  il a pourtant fasciné mais davantage pour son étrangeté et l’imprégnation de la culture nippone qu’il dégageait.

Selon Béatrice Picon- Vallin [1], on nomme d’abord le kabuki de manière imprécise mais familière « pantomime japonaise. »  Il frappe alors par son réalisme et sa convention mêlés, par la combinaison du décoratif et de l’observation précise de la réalité, par sa violence, voire sa « férocité ».

En 1900, un spectacle intitulé La Geisha et le samouraï, va venir apporter un souffle nouveau sur la conception de la mise en scène, tout  comme, à la même époque, la découverte des estampes insuffle un nouvel art pictural. Le Japon apporte son théâtre radicalement autre, avec ses ralentis, ses rituels, sa sphère sonore, sa mise en scène du vide et sa dissymétrie. Cet art du récit, de la danse et de la  musique, n’accède  pas à sa véritable valeur en France ; «dans la mesure où le spectateur occidental ne comprend pas ce qui est dit et qu’il existe peu de traductions de pièces japonaises, il est perçu comme un art de la forme plutôt que du texte. On compare Sada Yakko à une «estampe animée [2]

Le théâtre, l’art le plus proche du cinéma pour l’inspiration et l’influence qu’il suscite, est plutôt desservi en France. L’incompréhension est l’un des premiers griefs qu’on lui reproche. Si celui-ci connaît un certain succès, il le doit plus à ses décors, ses costumes, et autres surprises exotiques visuelles. La découverte et l’enthousiasme sont beaucoup plus liés à l’apparence qu’à la qualité, trop dépendante du problème de la langue.

Tout se joue dans cette connaissance lente et progressive de l’Autre. Les idées reçues sont successivement remises en question ; de la découverte à la compréhension en passant par un processus d’appropriation grâce à des peintres comme Van Gogh, des poètes comme Claudel, et des écrivains comme Loti, qui vont tenir un rôle important dans l’imaginaire occidental.

Ces vagues successives entraîneront et fidéliseront un certain attrait pour les japonaiseries, souvent mises en valeur et admirées pour leurs qualités exotiques ou artistiques. Dans le premier cas, le Japon devient une source de connaissances et d’amusements liée à la différence qui sépare les deux continents. Dans le second cas, le Japon donne cette impression de « paradis esthétique » dont parlait Guimet, où les techniques artistiques n’ont pas d’équivalence dans ce maniérisme délicat, pur et précis. Un art d’autant plus étonnant que sa signification reste énigmatique, impénétrable comme toute la culture nippone.

Dans tous les cas, seules des impressions perdurent, rien n’est écrit ou décrit avec assurance, l’explorateur comme le peintre ne peut retranscrire ce qu’est réellement l’effervescence du Japon. Les bibelots comme les pièces de théâtre divertissent, comblent un certain vide mais ne sont finalement qu’expositions, vitrines et galeries.

Toutefois, l’ensemble de ces représentations a su mettre en place un imaginaire collectif, propre à la population française (européenne). Le Japon est devenu en quelque temps, de façon simplifiée, le pays de l’exotisme cocasse et de la maîtrise artistique raffinée, dont l’interprétation et la compréhension restent énigmatiques.

 

Cette vision de l’Autre est-elle immuable?
Comment et jusqu’à quel point ces représentations et ces interprétations ont investi l’imaginaire des Français ?
Quand un demi-siècle plus tard, les premières productions cinématographiques sont diffusées dans les salles françaises,  la lecture des films a-t-elle été influencée par ce corpus identitaire ? 
En d’autres termes, les Français ont-ils recherché une Madame Chrysanthème 
dans la représentation des femmes chez Mizoguchi ? 

 

 

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[1] Texte d’introduction du livre Butô (s), sous la direction d’Odette ASLAN et Béatrice PICON-VALLIN, CNRS Editions, collecion Arts du spectacle/Spectacle, histoire, société, Paris, 2002
[2] ibid.